La douceur est une notion fascinante qui s’inscrit dans la hiérarchie des styles en même temps qu’elle s’en démarque; héritée de catégories antiques (suavitas, lenitas, venustas...), elle apparaît aux XVIe et XVIIe siècles comme le lieu d’une réflexion omniprésente dans le champ de la création littéraire et artistique, mais paradoxalement mal théorisée dans les traités de rhétorique et de poétique. Ce volume, à la suite du colloque dont il rend compte, explore la dimension théorique du doux, mais aussi ses formes et sa fortune dans une période entre Renaissance et classicisme où les écritures et les genres se redéfinissent. La douceur parcourt ainsi le champ poétique, de Lemaire de Belges, Saint-Gelais, Du Bellay, Ronsard, et même, en filigrane, D’Aubigné, jusqu’à La Fontaine, de l’inspiration néo-platonicienne à l’esthétique galante. Moins attendue dans la tragédie, elle nourrit pourtant la nouvelle conception du héros tragique autant que l’anthropologie spirituelle à l’œuvre dans Esther. Sa dimension philosophique, voire métaphysique, se déploie dans toute sa diversité chez Montaigne, Pascal où Fénelon. Le doux s’avère donc un carrefour où se rencontrent l’expérience de l’intime et l’harmonie cosmique, la sensualité et la spiritualité, l’art d’écrire et l’art d’aimer, la civilité honnête et la sagesse politique, le contexte littéraire et la théorie morale. L’élaboration et les infléchissements de cette notion subtile, explicitement rattachée au génie de la langue française, révèlent en fait les modifications profondes dont le XVIe et le XVIIe siècles sont le théâtre en matière d’esthétique, d’écriture, d’imaginaire culturel.