Au début du livre VI des Métamorphoses, la jeune fille qui osa défier Minerve et la surpassa dans l'art du tissage voit son œuvre détruite par la déesse et son corps métamorphosé en araignée. La tapisserie d'Arachné illustre les choix esthétiques d'Ovide, indissociables de ceux, philosophiques et politiques, dont l'exil fut le prix. C'est l'extraordinaire fécondité littéraire et artistique de ce récit qu'interroge l'essai de Sylvie Ballestra-Puech. Influencé par la tradition biblique et patristique, qui fait de l'araignée une image de la perfidie et de l'impiété, le Moyen Age ne peut voir en Arachné qu'une figure de l'orgueil diabolique. Mais avec Dante déjà, le récit ovidien retrouve sa grandeur tragique avant que Véronèse, Rubens et Velázquez ne rendent à Arachné son statut d'artiste, préludant à une rêverie arachnéenne sur la fraternité des arts. Le conflit de la déesse et de la mortelle se rejoue à l'occasion des débats esthétiques majeurs qui ponctuent l'histoire de la littérature européenne : polémique sous la plume de Swift, heuristique sous celle de Diderot, l'image de l'araignée tissant sa toile se révèle d'une étonnante plasticité. Si les métaphores arachnéennes de la création poétique ne cessent de se multiplier et de s'enrichir depuis le XIXe siècle, de Keats à Whitman, de Mallarmé à Francis Ponge, d'Emily Dickinson à Agnes Miegel, elles restent au service de cette poétique de l'immanence qui triomphait déjà sur la tapisserie ovidienne.