Joyce Mansour fut l'une des dernières grandes figures du surréalisme: séduisante et secrète, scandaleuse et touchante, elle fascina tous ceux qui, de près ou de loin, participèrent à la dernière période du mouvement. Mais elle fut aussi, et surtout, l'une des voix les plus originales qu'ait donné à entendre le surréalisme d'après-guerre. Saluée par Breton, Michaux, Mandiargues ou Leiris, son œuvre reconduit l'expression tourmentée du désir par-delà la frontière des genres; elle en déploie tous les registres dans une exploration sans fin des dessous de l'humanité à laquelle Bellmer, Alechinsky, Matta ou Camacho donnèrent de fulgurants échos plastiques.
En dégageant les motifs obsédants qui, à travers la diversité des textes abordés, en soulignent aussi la singularité respective, Stéphanie Caron éclaire pour la première fois la cohérence sous-jacente et le cheminement profond de l'œuvre. Interrogée dans son déroulement chronologique, celle-ci se présente autant comme un témoignage inédit sur les dernières décennies surréalistes, que comme l'expression complexe d'une quête éperdue, celle d'une identité poétique, surgie d'un entrelacs de figures et d'écrits antérieurs. Récits et poèmes sont traversés de voix diversement modulées, travaillant à relancer la conquête de soi qui en constitue toujours l'horizon. Aussi est-ce le sort réservé au lyrisme qui permet de comprendre comment la parole devient - en sa profuse inventivité - la véritable terre natale de la poétesse. Né de l'exil et de la perte, le lyrisme de Joyce Mansour se donne d'emblée pour objet, non l'expression d'un sujet préexistant, mais la recherche variée de postures permettant de dire le «je» sans le réduire au moi. De la mise hors de soi engagée dans les poèmes (Cris) à l'ekphrasis lyrique (Phallus et Momies), en passant par la fiction autobiographique (Iles flottantes), l'œuvre mansourienne s'ordonne en une série de stratégies tour à tour éprouvées pour cerner ce qui se trame, au juste, dans Le Bleu des fonds.