C'est à une étude approfondie et magistrale de l'œuvre complète d'Alfred de Vigny que se livre André Jarry, recueil après recueil, poème après poème, récit après récit. Il retrace ainsi la courbe de l'œuvre, œuvre dans un premier temps éparpillée, jusqu'au jour où elle se risque à frôler le noyau fou de la personnalité. Les équilibres, dès lors, basculent et se succèdent, mutation lente qui dure ce que durent, et l'œuvre, et la vie. De Stello à Daphné, des poèmes du "délaissement" à la résurrection de la Maison du Berger, les étapes sont exemplaires, et les conquêtes décisives souvent enfouies au cœur du texte. La carrière, à la fin, a révélé son unité. L'œuvre, dans sa progression, est bien l'équivalent d'une cure analytique (réussie). Si Freud a tendance à juger des œuvres littéraires ou artistiques en fonction de leur contenu plutôt que de leur aspect formel, la lecture psychanalytique récente, dont André Jarry est ici un représentant éminent, renverse en quelque sorte la thèse, et juge opportun de faire retour à la beauté du texte. Le grand bénéfice de ce commentaire est de nous procurer, au-delà de l'analyse formelle des textes, un déchiffrement psychanalytique qui dégage le poétique, c'est-à-dire permet d'entendre la ligne mélodique sur fond de tensions et de détentes alternées, selon ce jeu syncopé qui caractérise le mouvement même de l'analyse.