Depuis quand l’Asie centrale d’aujourd’hui existe-t-elle sous la forme qu’on lui prête dans les cartes modernes? Quand a-t-elle été «découverte», ou plutôt «redécouverte» et quel rôle les dénominations de jadis ont-elles joué dans cette «invention»?
En retraçant l’évolution des images spatiales et sémantiques de cette aire, le livre de Svetlana Gorshenina montre par quelle voie s'est petit à petit cristallisé le concept d’Asie centrale, à partir d'éléments dont les plus connus sont la Tartarie, le Turkestan, la Route de la soie ou l’Eurasie. Cette analyse ne renvoie pas uniquement à la géographie historique, à l’histoire de la géographie ou de la cartographie, ni à celle des découvertes ou des frontières: relevant de ce que l’on pourrait qualifier d’investigation épistémologique, elle tente surtout de comprendre ce que veut dire l’Asie centrale. Quelles sont sa nature et les origines de son avènement dans les discours politique et scientifique.
La définition de la région a emprunté au long des siècles un chemin chaotique, marqué, lors de la transmission des connaissances, par une perte répétitive des informations. Ce processus non linéaire a été en outre alourdi par la création d’innombrables termes, fondés sur des critères divers et hétéroclites, eux-mêmes réutilisés en boucle de manière non critique. Imprégné d’eurocentrisme, le vocabulaire en vogue a eu pour but d’apprivoiser cet espace au moyen d’une géographie symbolique. Les délimitations politiques ont fini par figer les représentations de l’Asie centrale dans ses frontières actuelles, empiétant en même temps sur la qualité des investigations scientifiques.