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Flaubert est revenu à trois reprises sur La Tentation de saint Antoine : entre 1846 et 1849, en 1856 et entre 1869 et 1874. De ces trois versions, la version la plus mal connue jusqu’à aujourd’hui est la deuxième, quoique Baudelaire et George Sand l’aient remarquée et admirée. C’est cette version sur laquelle se concentre cet ouvrage. On trouvera ici, en transcription diplomatique, la version intégrale du manuscrit auto-graphe de 1856. À mi-chemin entre la première version (1849), version mystique, et la troisième (1874), version scientifique, La Tentation de 1856 offre un terrain d’analyse privilégié. On verra l’importance de la Bible dans ce texte. Michel Foucault l’avait déjà souligné dans son célèbre article intitulé « La Bibliothèque fantastique », mais il ne se référait qu’à la troisième version. Or il apparaît que c’est déjà dans la deuxième version que Flaubert rattache son dispositif de vision halluci-natoire des tentations à la lecture par le moine de passages de la Bible. Ainsi, la version de 1856 est un texte qui non seulement reprend la ver-sion antérieure, mais annonce et prépare la dernière version.
Illustration de couverture :
La Tentation de saint Antoine, attribué depuis 2018 à Jan Verbeeck (Malines, ca 1520-ca 1570), et jadis à Pieter Brueghel le Jeune, collection particulière, en dépôt à la Galerie nationale du Palais Spinola de Gênes.
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Comment l’idée du voile pourpre de Carthage est-elle venue à Flaubert ? L’histoire d’Anubis, à laquelle il avait pensé, s’est transformée, entre 1853 et 1857, en la gigantesque épopée de Salammbô. Après son acquittement dans le procès de Madame Bovary, l’écrivain met en place sa méthode de travail pour préparer son roman : il établit un sommaire à partir de « La Guerre des Mercenaires » de Polybe, il se documente dans de multiples domaines, il voyage en Tunisie, rédige un chapitre explicatif avant de le rejeter, organise au départ un roman en trois parties... Ce volume présente tous les plans et les scénarios de Salammbô – une centaine de folios, entre les quatre mille sept cents pages du manuscrit – reproduits en fac-similé, classés par ordre chronologique et transcrits diplomatiquement. L’introduction rend compte du mouvement d’élaboration de l’œuvre, en s’appuyant sur les différents documents de genèse et la correspondance. Dans les repentirs et les avancées des plans et des scénarios se dessine le rêve d’Orient de Flaubert.
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Du 1er octobre au 15 décembre 1856, la Revue de Paris publie dans six numéros consécutifs un roman inédit, Madame Bovary. Laurent Pichat, rédacteur de la Revue, a exigé de son auteur des coupes et censuré certaines scènes. Dès qu’il reçoit en avril 1857 son exemplaire de l’édition originale, Flaubert, désireux de pérenniser la bêtise du censeur, reporte une par une les corrections exigées et commente la suppression imposée. Il procède très minutieusement : au crayon d’abord – il met les passages concernés entre crochets, il barre d’un trait horizontal les fragments courts, d’une croix de saint André les plus longs – puis à l’encre, il encadre presque toujours le morceau visé et, quelquefois, repasse à la plume sur les rayures au crayon. Paradoxe de la rature, ce qui immédiatement saute aux yeux, c’est la violence de la mutilation. Et c’est presque une autre Madame Bovary que l’on découvre, une Bovary de bon goût, enfin acceptable, privée de son « immoralité » supposée.
Sans doute le premier écrivain à inscrire rétrospectivement dans le corps même du livre l’un des moments douloureux de sa genèse, Flaubert montrait volontiers cet exemplaire-témoin à ses amis. Par cette édition, son objectif est atteint : faire sortir la censure du cadre privé du manuscrit afin que la postérité puisse juger.
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