-
-
L’histoire des territoires de l’âge d’or est celle de la nostalgie du bonheur prêté à l’humanité originelle, dont on refuse la disparition définitive en posant son maintien dans un espace réel mais lointain. Elle commence avec les îles Fortunées du poète latin Horace, situées dans un océan périphérique mal connu. Elle se poursuit avec la découverte de terres nouvelles, qui invite à trouver des enclaves de l’âge d’or dans l’Amérique tropicale aux XVe et XVIe siècles et à Tahiti au XVIIIe siècle. Elle englobe enfin les destinations exotiques proposées par le tourisme globalisé du XXIe siècle. Chacune des époques envisagées exalte à sa manière la nature belle et généreuse de ces territoires, qui satisfait les besoins essentiels de leurs habitants, et l’existence parfaite et enviable d’humains simples, paisibles, ignorant la pénibilité du travail et, en ce qui concerne les Tahitiens, les tabous sexuels.
Le livre de Monique Mund-Dopchie invite ainsi à voyager dans l’espace et le temps tout en interrogeant les réactions des Européens d’hier et d’aujourd’hui face à l’« ici » et l’« ailleurs », pour mettre en perspective des terres perdues avec des territoires réinventés.
-
L’histoire de Thulé est d’abord celle d’une île qui ne se peut situer sur une carte. Car le traité de celui qui a révélé son existence, l’explorateur Pythéas de Marseille, est perdu. Des bribes d’informations transmises par les Anciens, une seule certitude émerge : Thulé se trouve à l’Extrême-Nord de l’Europe, dans un environnement étrange et connaît aux solstices des jours et des nuits dont la durée varie selon les sources. Il n’est dès lors pas surprenant que des multiples localisations aient été proposées jusqu’à nos jours – Islande, Shetland, Scandinavie, etc. –, sans emporter la décision. En outre, le choix entre ces différents lieux n’était pas toujours objectif, ayant maintes fois été orienté par lorgueil des nations, soucieuses de se trouver des ancêtres très anciens, et par les joutes idéologiques qui étaient filles de leur temps.
Thulé détenait un singulier potentiel onirique en raison de son insularité, de ses relations avec l’au-del , dont elle était une porte, et de son appartenance aux confins de la terre où existait ce qui ne peut exister au centre. Elle a de ce fait été largement utilisée par les poètes et par les romanciers. Quand Goethe s’en empara dans sa fameuse « allade du roi de Thulé », il offrit à certains l’occasion de détacher l’île de son environnement classique pour lui faire désigner un « Ailleurs », idéalisé ou repoussant, ou plus abstraitement le But et la Fin ultimes. C’est l’histoire de ce lieu méconnu se rénovant en un mythe prolifère que fait avec érudition Monique Mund-Dopchie.