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Jean Starobinski a montré que le XVIIIe siècle avait «inventé» la liberté. Il faut y ajouter la catastrophe. C’est une invention à plusieurs titres. Langagier d’abord, car c’est alors que le mot, dont le sens relevait essentiellement du thé¢tre, trouve son acception moderne. Scientifique et philosophique ensuite: la réflexion des savants, des philosophes et des écrivains du temps – Buffon, Cuvier, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Sade – sur l’histoire de la terre et le devnir de l’humanité affranchit la notion de catastrophe du champ religieux. Politique et médiatique: l’histoire des catastrophes commence également de s’écrire dans ce temps où l’on tente de solliciter les aides, d’organiser le territoire, de prévenir
les désastres; la dernière épidémie européenne de peste en 1720, la destruction de Lisbonne en 1755 et le tremblement de terre de Calabre en 1783 ne sont que les plus connus des événements qui retiennent l’attention des autorités et du public. Une sensibilité nouvelle procède de nouveaux média; curiosité, sensationnalisme, émotivité se répandent dans les journaux, non sans poser la question des limites du voyeurisme et du rôle du journalisme. Enfin, que ce soit dans les domaines de la peinture, de la musique ou de la littérature, les arts interrogent la légitimité de la représentation aussi bien que les modes de représentation de la catastrophe – laquelle relève a contrario de l’indicible et accuse le langage dans son inaptitude à dire la réalité. Tant d’interrogations préludent aux nôtres: l’horizon de la catastrophe domine notre monde, comme le montre, dans sa postface, la réflexion actuelle et justement alarmiste du philosophe Jean-Pierre Dupuy.