Le deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Montesquieu invite aux bilans : la multiplication, depuis une quinzaine d'années, des études a favorisé la philologie, avec l'admirable édition des Œuvres complètes en cours à Oxford, plutôt que la synthèse. La tension d'un style bâti à coups de contrastes, de paradoxes et d'exagérations, le goût du critique d'art pénétrant pour le style rocaille qui baigne sa jeunesse comme pour la démesure de Michel-Ange et de Corneille incitent à brosser un portrait de Montesquieu autour de la notion de baroque. Cosmologie baroque où luttent le centrifuge et le centripète, éthique baroque de l'énergie guettée par son anéantissement, conception baroque de l'Histoire où la victoire vaut défaite, économie baroque où la richesse en numéraire est synonyme de ruine, foi post-tridentine comblée par le tournoiement du concave et du convexe, tout l'univers de Montesquieu obéit à la loi de l'ambivalence et préfère au principe d'identité celui d'homothétie dont il repère l'emboîtement dans la société, de l'individu à l'Etat.
Etonnant Montesquieu : on le dit depuis plus de deux siècles l'inventeur de la séparation des pouvoirs, et il répond distribution ; on le croit raisonneur, il est passionné ; on le prétend du juste milieu, il a le goût des extrêmes ; on le suppose classique, il est baroque ; c'est le Romain, et un moderne convaincu ; on le trouve démonstratif et discursif, c'est l'homme des saillies, des ellipses, des éclairs de génie. Ce Gascon que la caractérologie classe parmi les sanguins est bien frémissant, bien catégorique pour être un modéré. Un Montesquieu bouillant et caustique, voire grinçant, contre un Montesquieu un peu empesé et timoré, perd-on au change ?
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