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Depuis l’Antiquité, les hommes ont interprété la numération des années de leur vie, tel l’empereur Auguste, autre manière de retenir le temps qui fuit. Des théories médicales ont ainsi avancé que la matière se renouvelait toutes les sept ou neuf années. Le produit de ces deux chiffres (l’un dévolu au corps, l’autre à l’esprit) donne soixante-trois, et la soixante-troisième année de la vie humaine, grande climactérique, était regardée comme très critique. C’est sous le signe du nombre et du temps que Max Engammare fait l’histoire de l’intérêt inquiet pour cette année qui reprend vigueur à la Renaissance, avec Pétrarque, mais surtout avec Marsile Ficin. On croisera la plupart des grands noms du temps, dont des théologiens, à l’instar de Philipp Melanchthon, le bras droit de Luther, et de Théodore de Bèze, celui de Calvin, mais aussi de Rabelais, celui qui a introduit le mot en français. La question du soixante-troisième roi de France, Henri III ou Henri IV, sera également posée par des Ligueurs qui ne savaient pas en 1587 ou 1588 que les deux mourraient assassinés, et l’on jouera même au jeu de l’oie. Il s’agit de comprendre l’arithmétique de ces peurs antiques réactualisées dès la fin du XVe siècle et qui n’ont pas complètement disparu aujourd’hui, preuve en est Sigmund Freud ou la soi-disant malédiction des 27 répertoriant tous les artistes célèbres morts à l’âge de vingt-sept ans (trois fois neuf).
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L’erreur historique consiste à ériger involontairement le fait en loi, à prendre les effets pour des causes, à ne savoir plus faire la part de l’accident qui, tenant une si grande place dans la vie de l’homme, ne peut disparaître de son histoire. On aime à parler des grands courants qui entraînent une époque. L’image est juste, mais qu’elle ne nous égare pas. Ces courants ne sont pas une sorte de phénomène fatal et mystérieux venant du dehors fondre sur l’humanité : c’est de l’humanité même qu’ils sortent. Le plus souvent on peut dire d’où ils sont nés, comment ils ont grossi, quelle main les a sinon créés, du moins élargis et dirigés, quelle autre leur a opposé des obstacles ou en a détourné le cours. Et,
alors même qu’ils semblent devenus irrésistibles, alors que la foule des humains se laisse aller passive au fil du fleuve puissant qui l’emporte, on voit parfois un homme qui, seul, le remonte d’un élan désespéré, et il n’est pas sans exemple que cet homme finisse par être suivi de tous.