Renaissance
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Comme toujours, la Correspondance de Théodore de Bèze participe de l’histoire de la France et de l‘Europe protestante. Si elle éclaire l’histoire de la théologie, elle rend aussi compte du destin personnel du poète-réformateur. L’année 1588, pour le premier aspect, est celle du triomphe de la Ligue: la journée des Barricades (12 mai) les ligueurs réussissent à chasser le roi de Paris, et de plusieurs autres villes. Bèze assiste désolé à ces événements, conséquences de la défaite des reîtres de l’année précédente. Dans cette atmosphère désolée, alors que Genève souffre du blocus imposé par le duc de Savoie, deux nouvelles surgissent comme le soleil après l’orage: la mort des Guises, assassinés aux Etats généraux de Blois les 23 et 24 décembre, et le désastre de l’«Invincible Armada», qui sauva l’Angleterre élisabéthaine. Le roi d’Espagne s’en trouve paralysé, au point de ne plus pouvoir soutenir son gendre, le duc de Savoie, dans ses entreprises contre la France et contre Genève. Ce volume de la Correspondance contient également des vers écrits en l’honneur de la reine Elisabeth victorieuse, ainsi que des pages intéressantes sur la prédestination et sur la juste place que la philosophie doit tenir dans la théologie. Enfin l’année 1588 a compté dans la vie de Bèze, en ce qu’elle fut celle de son veuvage et de son remariage.
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En moins d’un an, de juin 1534 à mai 1535, entre Réforme et Contre-Réforme, Pierre l’Arétin publie à Venise La Passion de Jésus, Les Sept Psaumes de la pénitence de David et L’Humanité du Christ. L’idée érasmienne de la divulgation du message évangélique dans le respect de sa simplicité, déjà approuvée par les premières traductions bibliques d’Antonio Brucioli, justifie l’Arétin dans sa réécriture en prose italienne de textes de la Bible. Fondant cette œuvre sur les thèmes de la Passion rédemptrice du Christ et de l’infinie miséricorde divine, il s’emploie à perpétuer une doctrine de conciliation de la grâce et du mérite dans le mystère de la Rédemption.
Le dessein de l’Arétin n’est au reste pas dénué d’ambition, dans la mesure où il poursuit indéniablement par cette campagne de parutions l’espoir d’une reconnaissance culturelle et matérielle, notamment de la part de l’Église romaine. Aussi il n’hésite pas à se mesurer à une littérature religieuse prestigieuse, celle du poème biblique – renouvelé par Sannazaro et par Vida en latin comme par Teofilo Folengo en langue vulgaire –, ou celle du commentaire et de la paraphrase des psaumes.
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Fable, fabula, mythos : la fable est, à la Renaissance, la définition même de la poésie. Que ce soit dans son acception d’allégorie, empruntée à l’herméneutique néo-platonicienne et aux théories exégétiques de la Bible, ou au sens de mimèsis, issu de la redécouverte de la Poétique d’Aristote, la fable a posé aux poéticiens de la Renaissance un problème théorique majeur, provoquant nombre de discussions sur la nature même du fait littéraire. La poésie est-elle voile, écorce dun altior sensus enfoui sous la fiction ? Est-elle lieu de vérité ? Est-elle, au contraire, lieu de vraisemblable, espace d’artifice pur où se dirait l’habileté du poète à refigurer le réel ? Ou peut-être, comme le pensera le Tasse, tiendrai-elle à la fois de l’un et de l’autre, du feint et du vrai, définie alors comme création d’une merveille, où l’idée et le langage en tant que tels vaudraient autant que la fiction ? Interrogé dans ses fondements mêmes, le concept de fable, qui a dominé le XVIe siècle comme critère de poéticité, verra son empire graduellement menacé, dans les dernières décennies, par l’émergence de valeurs nouvelles, issues de la rhétorique, de la philosophie et de la théorie de l’art, qui permettront de repenser la poésie au sens large et de poser les premiers jalons de la théorie littéraire moderne.
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L’Herméneutique de la satire rabelaisienne examine l’évolution que subissent les quatre livres authentiques des Chroniques pantagruélines à l’aune des critères d’hybridité et de mélange littéraire qui identifient celles-ci comme des variantes du méta-genre de la satire. Il semble bien que la varietas de la satire à la Renaissance, amalgame de sources antiques, médiévales et contemporaines, fournisse une contribution fondamentale à la question de l’intention et de la signification du texte rabelaisien, laquelle occupe et divise la critique depuis longtemps. En particulier, il apparaît que c’est la farce, satire populaire et univoque, qui régit les deux premiers livres, alors qu’une satire subtile et polysémique prédomine dans les Tiers et Quart Livres. En somme, Bernd Renner pose que l’écrit satirique illustre le phénomène de la digestion et de l’«imitation créatrice» de modèles littéraires qui, précisément, distinguent le texte de la Renaissance.
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Derrière l’imagerie populaire de l’alchimiste assis au secret de son fourneau, il y eut jadis des êtres de chair. Qui étaient ces hommes? Comment vivaient-ils? Quelle place tinrent-ils dans la société et dans le monde intellectuel d’alors? Cette étude de la réception de l’alchimie et des doctrines de Paracelse en France s’attache à la production du livre alchimique et paracelsien et à l’histoire des nombreuses querelles que ce dernier provoque. On établit chemin faisant la biographie de plusieurs alchimistes, tel Joseph Du Chesne ou Etienne de Clave, et l’on ruine la légende selon laquelle Descartes, de retour d’Allemagne, aurait été suspecté de rosicrucianisme. L’ouvrage s’achève sur la grande crise des années 1620, o¹ une alchimie inclinant tantôt au matérialisme, tantôt au panthéisme, est englobée par les apologètes chrétiens dans leur condamnation du mouvement libertin.
Alchimie et paracelsisme est le premier d’une série de trois volumes, où seront succssivement étudiés les cercles alchimiques français et le mécénat princier qui les favorisa, ainsi que les rapports entre science, religion et littérature dans la France alchimique de la fin de la Renaissance.
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Après avoir offert en 1517 au jeune François Ier le premier volume de son «Triumphe des Vertuz», constitué des deux traités du «Triumphe de Prudence» et du «Triumphe de Force», Jean Thenaud s’attèle à la rédaction de la seconde partie. Le 28 février 1518, la naissance du premier Dauphin François lui impose d’adapter son projet initial à l’actualité. Au printemps 1519, il présente au roi les troisième et quatrième traités du «Triumphe des Vertuz».
Ainsi, davantage que les deux traités qui le précèdent, le Triumphe de Justice, constitue-t-il un miroir des princes, dans lequel l’instruction morale apparemment destinée à l’enfant exhorte en fait le roi lui-même et l’enjoint à s’acquitter avec excellence de sa haute tâche. Ici comme ailleurs, Jean Thenaud recourt à son contemporain Erasme, dont l’«Institutio Principis Christiani», sortie de presse en mai 1516, rejoint ses préoccupations.
Ayant procuré l’édition du «Triumphe de Prudence» (TLF, 489) ainsi que celle du «Triumphe de Force» (TLF, 550), Titia J. Schuurs-Janssen et René E. V. Stuip donnent maintenant l’édition critique du troisième traité que viendra clore celle du «Triumphe de Temperance».
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La Fondation Barbier-Mueller pour l’étude de la poésie italienne de la Renaissance, fondée en 1997 à l’Université de Genève, est riche d’une collection de livres anciens, principalement du XVIe siècle, qui compte de nombreux exemplaires remarquables et précieux ainsi qu’une belle série de recueils collectifs et d’anthologies. Le catalogue de cette bibliothèque recense et décrit avec précision 452 éditions rares de poètes italiens, de Dante à Chiabrera, des plus illustres aux plus confidentiels. Une attention toute particulière est réservée au contenu des volumes, au recensement des pièces liminaires, à l’identification des dédicataires et des auteurs secondaires comme aux particularités des exemplaires. Plus qu’un simple catalogue toutefois, par l’importante documentation qu’il offre, à travers des notices prosopographiques et bibliographiques détaillées, cet ouvrage a aussi l’ambition de tracer un panorama original de la poésie, de l’édition et des milieux littéraires italiens au moment de leur âge d’or. Des tables et des index détaillés en font un outil de travail de première importance.
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Si la représentation d'Adam et Eve connaît au XVIe siècle une actualité particulière, c'est sans doute parce que l'histoire des premiers parents suscite l'intérêt d'un siècle fasciné par la question de l'origine et offre à la peinture d'histoire sacrée l'occasion bien rare de représenter un homme et une femme nus. Mais il n'est pas indifférent que l'intérêt porte tout particulièrement sur le récit du péché originel, en Genèse 3, qui cristallise une série d'oppositions fondamentales. La faute provoque la chute dans notre humanité, puisqu'elle marque le passage de l'éternité à un temps arrêté par la mort. Mais elle constitue aussi le moment de la naissance des corps, souffrants et jouissants, marqués par la différence sexuelle. Elle opère enfin le basculement d'un monde régi par la transparence des signes, du langage, vers un monde marqué par l'opacité, le brouillage entre la vérité et le mensonge. Dès lors, la représentation du péché originel semble offrir à toute œuvre un miroir apte à réfléchir les moyens dont celle-ci dispose pour énoncer la vérité et pour la transmettre au lecteur/ spectateur.