Renaissance
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Les Commentaires de la langue grecque constituent la première tentative de dictionnaire grec fondé sur le dépouillement lexicographique d’un vaste corpus d’auteurs grecs, une centaine environ. Or, cet ouvrage n’est pas organisé selon l’ordre alphabétique qui convient à un dictionnaire, ni comme un thesaurus, par mots-racines, mais il se présente sous les dehors d’une longue dissertation sur la langue grecque, avec de fréquents renvois à ses équivalents latins. De plus, nombre de digressions enrichissent le discours principal, conférant au livre l’allure d’une encyclopédie littéraire, philosophique, scientifique et juridique. Enfin, les textes liminaires sont remarquables : la préface au roi François Ier est considérée comme l’acte de naissance du Collège des Lecteurs royaux, futur Collège de France, tandis que la postface « aux jeunes gens épris de lettres grecques » est un manifeste de didactique humaniste. Mis à part la préface et quelques extraits, les Commentaires n’ont jamais fait l’objet d’une étude systématique.
L’étude pionnière sur les Commentaires dans leurs deux éditions (1529 et, posthume, 1548 puis 1557) s’est fondée sur trois éléments : l’analyse des 1560 colonnes de texte dans l’édition de 1557 ; le dépouillement informatique des quelques 20 000 citations grecques et latines que Budé y a insérées ; la collation de l’exemplaire de l’édition de 1529 ayant appartenu à Budé (BnF, Rés. X. 67), qui l’a richement annoté en l’augmentant d’environ un tiers, en vue de la deuxième édition.
Ces trois assises ont permis, d’une part, de rendre compte de la véritable construction des Commentaires, d’autre part d’éclairer les étapes de la préparation dun ouvrage aussi novateur, afin de mieux comprendre les méthodes de travail de Budé. Outre combler une lacune majeure dans notre connaissance de l’œuvre de l’humaniste parisien, cette recherche amène à reformuler les axes de la biographie de dé, en mettant en évidence son travail de longue haleine sur l’ensemble de la littérature grecque, ce dont les Commentaires représentent l’aboutissement et la maturité.
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Le Tiers Livre que Rabelais publie en 1546 est sans doute le premier ouvrage à traiter strictement de la notion de perplexité. Serai-je cocu ? Cette question cocasse fournit la matière de la première véritable mise en scène littéraire de la notion. Elle recueille les fruits d'un héritage savant, tant juridique que théologique. Pour les juristes, le terme de perplexitas désigne la situation particulièrement délicate où deux lois s'opposent l'une à l'autre, sans espoir de conciliation. Cette inacceptable antinomie réclame des méthodes de résolution originales (renvoi sine die, recours au hasard, mise en place d'une fictio legis, etc.) qui trouvent un écho direct chez des auteurs comme Rabelais et Montaigne. Pour les théologiens, le terme désigne prioritairement le conflit de la loi de l'Église et de la loi de la conscience. A priori impensable dans un monde où Dieu dit la même chose à son Église et à la conscience de chacun, la situation ne survient que par la faute du fidèle qui s'est mis lui-même dans la situation terrible d'inevitabilitas peccandi. Ce double éclairage permet de réévaluer l'histoire de Panurge. De la perplexité initiale du héros à sa résolution - problématique - dans le Cinquième Livre s'ébauche l'esquisse d'un cheminement « thélémique ». L'aventure de Panurge devient alors la métaphore de cet autre chemin retracé par différents textes contemporains, qui mène de la perplexité terrestre à la Jérusalem céleste, autre abbaye de Thélème.
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Au mois de mai 1588, le roi est chassé de sa capitale par la crise déclenchée par l'arrivée du duc de Guise. Quand il essaie de se ressaisir en convoquant les Etats généraux, il se voit brimer par les représentants du Tiers Etat, qui, même s'ils travaillent souvent de concert avec les chefs de la Ligue, entendent renforcer l'autonomie urbaine.
Mais le roi y voit l'influence néfaste d'Henri de Guise. Pire encore, il est convaincu que le Balafré est d'intelligence avec Charles-Emmanuel de Savoie, qui, croyant que la France est aux abois, choisit ce moment pour envahir le marquisat de Saluces, dernier reste des conquêtes françaises en Italie. Son ambassadeur, René de Lucinge sait que l'alliance entre Guise et son maître est plus que fragile, mais il étudie, en observateur intéressé, l'engrenage fatal qui amène le roi à faire assassiner son rival. A l'affût des faiblesses de la Ligue aussi bien que de leurs chances de succès, Lucinge est un témoin précieux d'une des époques les plus troublées de l'histoire de la France.
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Sophie ARNAUD-SEIGLE,
B.C. BOWEN,
Michel CASSAN,
Jean CÉARD,
Richard COOPER,
Marie-Luce DEMONET,
C. ESCARMANT,
Stéphan GEONGET,
J. HIERNARD,
Mireille HUCHON,
L. JAGUENEAU,
Jelle KOOPMANS,
Claude LA CHARITÉ,
J.-L. LE QUELLEC,
Myriam MARRACHE-GOURAUD,
Trevor PEACH,
Gaspare POLIZZI,
M. RENAUD,
François RIGOLOT,
Titia J. SCHUURS-JANSSEN,
Paul J. SMITH,
D. VEILLON,
Véronique ZAERCHER
Sommaire / Table of contents: Avant-propos: M.-L. DEMONET, "L'effet de terroir"; R. COOPER, "L'Histoire en fête"; G. POLIZZI, "Rabelais, Thenaud, l'île de la Dive et le Quint Livre"; M. MARRACHE-GOURAUD, "Lanternes poitevines;" C. ESCARMANT et J.-L. LE QUELLEC, "La chasse au Bitard des étudiants poitevins"; M. HUCHON, "Rabelais, Bouchet et la Nef des Folz"; S. GEONGET, "Panurge et Xenomanes, Rabelais et Bouchet"; F. RIGOLOT, "Le Labyrinthe du songe-mensonge"; C. LA CHARITE, "De Architectura Orbis et De l'excellence et immortalité de l'ame d'Amaury Bouchard"; R. GORRIS CAMOS "Va, lettre, va (...) droict à Clément"; B. C. BOWEN, "Rabelais, Claude Cotereau et la tranquillité de l'esprit"; P. J. SMITH et T. J. SCHUURS-JANSSEN, "Plus feal que ne fut Damis a Appoloneus"; D. VEILLON, "Le De legibus connubialibus d'André Tiraqueau"; J. CEARD, Rabelais, "Tiraqueau et Manardo"; J. HIERNARD, "Les Germani à l'Université de Poitiers au temps de Rabelais"; M. CASSAN, "Le panthéon des plumes illustres du Poitou"; L. JAGUENEAU, "Polymorphisme et variation lexicale chez Rabelais"; J. KOOPMANS, "Rabelais et l'esprit de la farce"; T. PEACH, T"rois lustres d'édition poitevine"; V. ZAERCHER, "L'écriture à "diverses mains"; S. ARNAUD, "Peut-on attribuer à Jacques Peletier du Mans la paternité des Discours non plus mélancoliques que divers?"; M.-L. Demonet, "Rabelaiseries"; M. RENAUD, "En Poitou, c'est-à-dire nulle part...".
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Alors que l'allégorie statuaire de la Justice s'affirmait publiquement sous des atours susceptibles d'engendrer quelques doutes quant à ses intentions (yeux bandés, glaive et balance, genou dénudé), se met en place dès le XVe siècle dans l'Europe médiane un décor dans les salles de Justice qui puise largement son inspiration dans le registre des images religieuses : Crucifixion, Jugement dernier, Suzanne et les Vieillards, Jugement de Salomon. Quand la justice sort des églises pour devenir l'une des institutions les plus puissantes de l'Etat moderne, elle emporte avec elle des images propres à l'Eglise. Puis, dès que se laïcisera le décor des salles de Justice, des représentations picturales anachroniques, antiquisantes et légendaires tendront à fixer une justice d'un âge révolu, comme à exalter les vertus civiques de ceux qui vont jouer (sur) la scène judiciaire, ces magistrats tourmentés par la pesanteur de leurs charges.
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Témoin oculaire d'un monde catholique menacé, Sébastien Le Pelletier, prêtre et humble maître de grammaire, s'est lancé en 1589 dans la rédaction d'une histoire de la ville de Chartres et de ses environs pendant les guerres de la Ligue. Il y décrit, dans le détail, les événements liés au siège de la ville par les armées de Henri IV, la résistance ligueuse et la reprise en main vigoureuse de la cité mariale par les royaux. Prêtre austère, Le Pelletier livre aussi ses impressions sur ses adversaires calvinistes et sur la politique religieuse du roi de France dans les circonstances troublées de son avènement. Xavier Le Person accompagne l'édition critique de ce riche manuscrit, original et inédit, d'une introduction, d'une annotation dense et d'un index.
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Monarchomaques : le mot plaît, la chose est méconnue. Ce terme polémique forgé en 1600 dénonce les auteurs qui se sont, ou se seraient, exprimés contre le roi de France. Mais la réalité est plus complexe, le terme désignant tout aussi bien les ouvrages politiques ayant justifié la résistance au tyran entre 1568 et 1600. Il ne s'applique donc pas tant aux hommes - Théodore de Bèze, François Hotman, Philippe Duplessis-Mornay -¬, qu'à leurs écrits. Lesquels ne sont pas restreints à des pamphlets protestants réagissant à la Saint-Barthélemy sur le ton de l'invective, mais constitués de véritables traités théoriques établis sur une réflexion historique. Enfin, ils ne se limitent pas au cadre strict des guerres de religion françaises, mais s'inspirent de plusieurs modèles institutionnels, passés ou contemporains, et s'inscrivent dans le contexte européen.
Les communications réunies par Paul-Alexis Mellet discutent ces questions et offrent au lecteur un bilan de la recherche sur des auteurs ou des écrits encore mal connus. Sont successivement étudiés : les liens entre autorité spirituelle et autorité politique chez Machiavel, le devoir d'obéissance à Florence et à Magdebourg, l'horizon européen des Monarchomaques, en particulier Philippe Duplessis-Mornay aux Pays-Bas et Théodore de Bèze à Genève, enfin le débat sur la contractualisation de la loi et sur l'absolutisme naissant.
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Mystère et paradoxes entourent le personnage de Louise Labé, à la réputation controversée de courtisane, ainsi que la publication en 1555 de son unique ouvrage, les Euvres de Louïze Labé Lionnoize, dont l'édition originale est ici reproduite dans son intégralité. Trois élégies et vingt-quatre sonnets lui ont assuré une gloire universelle de poète, alors même que l'ouvrage comporte un long « Dialogue de Folie et d'Amour » en prose et qu'il est composé pour un tiers d'écrits dithyrambiques à sa louange, pièces non signées de poètes contemporains qui ne parleront ensuite plus jamais d'elle.
A restituer le cercle de ces poètes de Louise Labé, dans le Lyon fastueux du milieu du XVIe siècle, il apparaît que les Euvres, opération collective élaborée dans l'atelier de Jean de Tournes par des auteurs très impliqués dans la production de ce dernier, ne sont qu'une supercherie brillante. Celle-ci ne devait pas faire illusion au lecteur lyonnais de 1555, habitué aux masques et aux déguisements, aux momeries et aux figures allégoriques comme mythologiques qui hantent Fourvière (le forum de Vénus), attaché à la littérature paradoxale alors à la mode dans cette cité où l'on débat entre néoplatoniciens italiens et français des vertus de l'Amour. Le projet marotique ancien de « louer Louise », inspiré du « laudare Laure » de Pétrarque, adapté dans des circonstances très particulières, se révèle finalement comme une mystification de poètes facétieux qui ont cyniquement couché sur le papier une femme de paille dont ils se sont joués.