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La critique littéraire, qui aime emprunter à la peinture certains de ses termes pour décrire le phénomène littéraire, n’utilise pas, ou très rarement, l’expression « nature morte » pour désigner certains groupements d’objets qui apparaissent çà et là dans divers genres littéraires, et notamment dans le roman réaliste au dix-neuvième siècle. Existe-t-il des « natures mortes littéraires » ? Ne sont-elles qu’une simple variété de « paysage », ou d’« intérieur », un pur no man’s land de l’histoire racontée, une simple pause descriptive insignifiante sans particularités? Quelle est la spécificité de la « chose posée » dans le mouvement de la fiction ?
Le présent essai s’efforce de circoscrire le statut de la nature morte littéraire comme lieu d’une « lecture rapprochée », comme foyer du texte (elle est point de fixation du lecteur arrêté devant des objets fixes, elle concentre et polarise son attention) et texte du foyer (des objets familiers et domestiques). Elle est aussi lieu du prosaïque, du minime et de l’intime, lieu d’une fascination-répulsion à l’égard de l’inventivité concurrente du kitsch et de l’ersatz, lieu d’une réflexion sur l’ordre et le désordre du monde, lieu de l’hésitation entre l’expansion de la mise en liste et la polarisation sur le « détail », lieu de manifestation d’une certaine ironie à la fois moderne et anti-moderne pour la « beauté » de certaines rencontres hétéroclites et incongrues d’objets dérisoires.
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Forme à la fois immémoriale et moderne, condition d’ordre et ferment de panique, associée à la mémoire et au savoir comme à l’oubli et à la dépense, la liste est partout. On la remarque dans les écrits les plus banals, les plus prosaïques, aussi bien que dans un nombre illimité de productions littéraires. Aussi courante – sinon plus – que le discours narratif construit auquel elle s’oppose, elle est pourtant longtemps restée inaperçue, voire gênante, signe d’aridité ou de factualité terre-à-terre, tache aveugle des études littéraires. Son observation poussée révèle néanmoins une extraordinaire richesse d’expression. Qu’on l’appréhende sous son angle le plus formel ou qu’on la réinsère dans les contextes de son apparition, on constate qu’elle soulève de nombreux questionnements, d’ordre grammatical, typographique ou épistémologique, aussi bien qu’affectif, ludique ou thymique. Elle se présente enfin comme une forme à la pertinence historique considérable pour la compréhension de la littérature de la seconde moitié du XXe siècle, et au-delà. Le Clézio, Modiano et Perec en témoignent, arpenteurs d’un temps profondément inscrit dans un mouvement oscillatoire de pléthore et de manque. Une perspective qui signale la liste comme l’un des symptômes scripturaux les plus prégnants de notre époque.
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Le présent essai a un double objectif : étudier la cohérence interne d'une oeuvre particulière (les vingt volumes de la série familiale des Rougon-Macquart, publiée par Zola entre 1870 et 1893) et explorer les conditions d’une théorie générale du personnage de fiction, ce "vivant sans entrailles" dont parle Valéry. La notion de “système” et celle de “personnel” impliquent une étude minutieuse des relations qui unissent tous les acteurs de la série. En chemin, et dans un cadre d’analyse globalement narratologique (pas de théorie du personnage sans une théorie du récit), on évaluera le poids des contraintes a priori que le “cahier des charges” naturaliste (décrire exhaustivement, secteur après secteur, et après enquête, le “monde du Second Empire; être “objectif”, etc.) fait peser sur le personnage, comment son statut de “fonctionnaire” d’un projet descriptif et sociologique (“rendre” le réel, le “document humain”sur lequel il est bâti) conditionne sa dimension “fictionnaire” d’être de papier support et moteur d’une intrigue inventée.
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Le Signe et la consigne décrit le processus de la création chez un écrivain, par l’examen de dossiers préparatoires à ses romans.
Se distinguant de la plupart des travaux de génétique littéraire déjà publiés, lesquels portent invariablement sur des aspects limités de la création, l’essai qu’édite Philippe Hamon est résolument général et synthétique: ce sont tous les dossiers préparatoires d’un écrivain qui sont analysés, et, partant, ce sont tous les mécanismes créatifs de l’écriture, dans son stade pré-rédactionnel, qui sont élucidés. Avec une double ambition: s’il s’agit d’étudier le processus liminaire à l’écriture elle-même chez un écrivain, il convient aussi de décoder le métadiscours tenu par ledit écrivain – lequel est singulier chez Emile Zola puisque ce dernier a soigneusement rédigé ses dossiers prépartoires et commenté à chaque instant ce qu’il est en train de faire.
Processus complexe chez Zola, pour lequel une consigne est non seulement le programme d’un possible romanesque, le symptôme d’un vouloir dire et d’un vouloir faire, mais se meut aussi en signe différentiel par lequel l’écrivain polémique avec la critique et pose l’acte d’écrire dans le champ littéraire contemporain.
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