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«Ce livre, adopté presque aussitôt par la commission d’instruction publique pour les bibliothèques et les lycées, est curieux et rempli d’érudition. On peut le regarder comme un petit chef-d’oeuvre de la linguistique moderne. La préface qui le précède a été écrite avec ce goût délicat et ce style charmant qui caractérisent le talent de Charles Nodier. Il faut avouer pourtant que l’auteur va un peu trop loin lorsqu’il considère l’onomatopée comme la source unique de toutes les langues ; il aurait pu se borner à induire d’une grande quantité de mots que ce fut, à l’origine, une des sources les plus abondantes, mais à l’origine seulement. “L’onomatopée, dit-il, est le type des langues prononcées comme l’hiéroglyphe est le type des langues écrites. Ainsi, soit par des signes figurés, soit par des sons, l’homme en créant le langage a cherché à donner une idée de l’objet
qu’il avait en vue”. Cette base est solide, à condition qu’on ne l’élargisse pas indéfiniment. L’ouvrage de Nodier est plein de recherches et d’observations fines. Non seulement on y trouve toutes les onomatopées françaises, celles qui en ont le caractère indubitable, mais Nodier restitue ce caractère à une foule de mots qui l’avaient perdu par suite d’un long usage, et il le fait apercevoir dans une foule d’autres où il est moins marqué. Ainsi, il fait observer que les noms des principaux organes de la parole commencent en français par une articulation qui met en jeu l’organe même désigné : gosier commence
par une gutturale, langue par une linguale, dent par une dentale, nez par une nasale, etc. ; il y a là, en effet, une tendance imitative qui tient de l’onomatopée.»
(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, t. XI, 1874)
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C’est en particulier à Charles Nodier que le terme même de linguistique doit sa fortune, dès la première moitié du XIXe siècle. D’une série d’articles de presse, l’auteur alors quinquagénaire a fait un ouvrage où il exposait – sur l’origine des langues, l’alphabet, l’étymologie, la néologie, les patois ou l’onomastique – des vues qui étaient déjà les siennes quelque trente ans auparavant. Au Nodier conteur, pétri de lexiques et pénétré de sa langue maternelle, on doit donc ce supplément cursif et didactique au Dictionnaire des onomatopées de 1808, qui expose mieux encore que ses essais critiques une conception originale de la poésie et, plus largement, de la littérature. Relatée avec autant de brio que de mordant, l’Histoire abrégée de la parole et de l’écriture peut également se lire comme une diatribe cinglante contre les aléas subis, jusqu’à nos jours, par l’orthographe française et les sciences du langage ; car à son analyse Nodier donne volontiers une extension aussi bien rétrospective que prospective.
L’édition minutieusement annotée de ce texte est assortie de plusieurs autres écrits linguistiques du dériseur sensé : témoignant de son érudite alacrité comme de ses convictions in©branlables, ils montrent ce philologue cratylien, cet académicien caustique et insoucieux des recherches scientifiques de l’époque, sous un jour qui n’a rien perdu de son éclat.
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Aussi réputées, sans doute, que méconnues, les Questions de littérature légale furent publiées anonymement en 1812, puis rééditées seize ans plus tard, sous une forme " considérablement augmentée ", par le désormais Bibliothécaire du Roi à l’Arsenal. Prisées des gens du livre au XIXe siècle, elles constituent encore de nos jours une référence dans tous les travaux critiques concernant le pastiche, le plagiat, les supercheries littéraires et autres doctes bagatelles. Or la " bavarderie bibliologique ", comme toujours chez Nodier, ne donne pas seulement lieu à des analyses aussi piquantes que sagaces de l’imitation, de l’emprunt, des procédés stylistiques ou de la figure de l’auteur ; par le biais d’une poétique dissuasive qui invoque " l’attention des gouvernements et la prévoyance des lois ", et tout en appelant de ses vœux une morale publique qui contraigne chaque écrivain à se montrer vertueux, le facétieux érudit n’en compose pas moins un manuel pratique de falsification textuelle. Richement annotée, la présente édition fait justice à cette œuvre depuis longtemps indisponible, dont l’érudition volontiers ironique et allusive rend la lecture captivante comme celle d’un conte romantique.
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Bête noire des critiques et des bibliographes, les supercheries occupent une place obscure, et parfois honteuse, dans l’histoire de la littérature française. Si l’usage du pseudonyme est un subterfuge banal, il est plus rare – et plus grave, aux yeux des censeurs sourcilleux – qu’un homme ou une femme de lettres attribue ses propres écrits à un être imaginaire. En occultant provisoirement sa responsabilité personnelle, en laissant croire à la réelle existence d’un personnage de pure invention et à l’authenticité de ses œuvres, le simulateur se rend coupable de supposition d’auteur. Sont ici réunis une trentaine d’auteurs effectivement supposés par des écrivains célèbres (Sainte-Beuve, Mérimée, Louÿs, Gide, Larbaud, Apollinaire, Vian, Queneau, Gary…) ou de moindre renommée (Desforges-Maillard, Fabre d’Olivet, Vicaire, Picard, Gandon…). Le corps de l’ouvrage comprend une partie strictement anthologique où figurent, d’un côté, les textes de présentation (généralement biographiques) relatifs aux auteurs supposés, de l’autre, plusieurs " morceaux choisis " de leur production. Des notices spécifiques précisent en outre comment furent conçues, puis reçues, " la vie et l’œuvre " de chacun.
En fin de volume, une étude de synthèse examine l’ensemble des techniques utilisées dans ce genre de supercherie : une typologie des auteurs imaginaires et des auteurs pseudonymes permet de cerner en particulier les différences entre texte apocryphe, plagiat, pastiche et mystification proprement dite. L’analyse de ces stratégies falsificatrices s’appuie régulièrement – au besoin pour les critiquer – sur les travaux de Barbier, Quérard, Nodier, Lacroix, Lalanne, Augustin-Thierry et Wirtz, tous experts en ces délicates et brûlantes questions de littérature légale.
Jean-François Jeandillou, Professeur à l’Université Paris X-Nanterre, est membre de l’Institut universitaire de France. Il a notamment publié un essai sur l’Esthétique de la mystification (éd. de Minuit, 1994) et l’Analyse textuelle (Armand Colin, 1997).