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Souvent considérée, avec la Chanson de Roland dont elle subit l’influence, comme l’une des plus anciennes œuvres littéraires en langue française, la Vie de saint Alexis prend sa source dans une légende constituée à Edesse au cours du Ve siècle. Né à Rome (Constantinople dans la réalité historique) d’une famille de très haut rang, Alexis refuse de consommer le mariage que son père lui veut imposer et s’enfuit à Edesse, où il passe dix-sept ans incognito, en prière, mortification et privations. Puisqu’à la suite d’un miracle on veut l’élever à la dignité d’évêque, il refuse cette charge et embarque à nouveau. Porté par les vents, il retourne à Rome, où il vit encore dix-sept ans, déguisé en mendiant, logeant sous l’escalier du palais de son père, sans que personne, pas même ses parents ni son épouse, le reconnaisse. Avant d’expirer, il écrit l’histoire de sa vie sur un parchemin, afin qu’on puisse l’identifier. Ce poème anonyme en ancien français, ici accompagné d’une traduction en français moderne, est l’un des plus beaux textes hagiographiques que le Moyen Age nous ait transmis.
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Il était urgent de consacrer une réflexion neuve au Rythme latin sur saint Alexis, dont l’auteur a abrégé un texte proche de BHL 292, soit une Vie latine qui circulait dans la région austro-bavaroise. On sait que le Rythme et la Vie française de saint Alexis ont plusieurs points en commun, dont la disparition du nom d’Edesse au profit d’Alsis. Comme les documents historiques ne mentionnent cette ville arménienne qu’à partir de 1112-1114 au plus tôt, c’est après cette date que les deux poèmes ont dû être composés. Par ailleurs la relation très étroite entre le prologue du Rythme et le début d’un poème carolingien, les versus de Ioseph, nous amène à conclure que le Rythme précède le poème vernaculaire, duquel il faudra par conséquent abaisser la datation. D’autres chapitres portent sur l’archétype grec à l’origine de la plupart des Vies grecques et latines connues ainsi que sur l’identité syriaque d’Alexis. Grâce à l’activité de personnages tels que Léon IX, Otloh de St. Emmeram, et Gerhoch de Reichersberg, au XIIe siècle saint Alexis a été intégré de plein droit au sanctoral de la réforme bénédictine émanant de l’abbaye d’Hirsau.
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Pour cette édition de la Vie de saint Alexis où tous les témoins utilisables ont été mis à contribution, le codex de Hildesheim (L) constitue le manuscrit de base en tant que témoin le plus complet, sorte de manuscrit-réceptacle qui embrasse toutes les étapes d'un long processus d'enrichissement. La stratigraphie du texte est étayée par une analyse métrique, linguistique, hagiographique et littéraire à la fois, qui retrace l'histoire de la Vie alexienne depuis le modèle latin le plus ancien jusqu'aux remaniements du XIIIe siècle. L’apparat critique regroupe les leçons de L rejetées, mais tout de même acceptables (c'est-à-dire non-erronées), offrant de façon immédiate une édition, aussi critique que possible, de ce manuscrit. Les choix textuels sont justifiés dans un vaste commentaire, assorti d'un glossaire.