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Les frères Goncourt furent des collectionneurs éclairés de l’art français du XVIIIe siècle et des japonisants fervents. Leur œuvre littéraire gagne à être interprétée à la lumière de leur collection. Dominique Pety examine d’emblée le contexte historique dans lequel la collection se définit au XIXe siècle: au cœur d’un conflit de valeurs, tiraillée entre la richesse et la stérilité de l’ancien, elle révèle l’appréhension d’une époque confrontée à la difficulté de renouveler ses codes artistiques. Les Goncourt entendent conjurer cette angoisse en érigeant la collection, telle qu’elle se déploie dans leur maison-musée, en œuvre d’art supérieure. La bibliophilie qu’ils y cultivent relève de la même démarche. Le livre est une pièce de collection, la bibliothèque un espace essentiel du musée, et la description prolonge dans l’écriture les mécanismes de la collection.
C’est toute l’œuvre des Goncourt qui se révèle finalement tributaire de l’esprit de collection et, à travers eux, l’esthétique réaliste et naturaliste: comme l’histoire, compilation de documents, le roman se mue en collecte d’observations. Mieux, par «l’écriture artiste», le style procède à la mise en forme des données recueillies. Ainsi le formalisme esthétique, caractéristique de l’art du second XIXe siècle, renvoie-t-il au modèle de la collection conçue non plus comme une accumulation, mais comme la composition d’un ensemble unifié, sous l’égide de l’art et selon la règle d’un sujet.