Renaissance
-
Serré en fin du premier livre des Essais, le petit chapitre « Des prières » en est assurément un grand pour quiconque examine la considération religieuse chez Montaigne. Il fournit aussi à celui qui s’intéresse à la genèse du texte une pièce de première importance, ne serait-ce que par le préambule dont, au retour d’Italie, l’auteur a doté ce chapitre un moment censuré. Ici plus qu’ailleurs peut-être, Michel de Montaigne a défini le statut de son livre : délibérément « humaniste » et « laïc », mais « très-religieux toujours ». Se rappelant sans doute que Thémis, la Justice, est parèdre de Jupiter, la Puissance, il s’en prend à ceux-ci qui, chrétiens en tête, s’adressent à Dieu sans révérence ou en font leur complice, mais aussi à ceux-là qui osent le réduire à raison. Si seul le « Notre Père » lui agrée, c’est que cette prière, réclamant le pardon préalable des offenses, ne dissocie pas miséricorde et justice divines et qu’elle écarte d’emblée toute supplique inconsidérée. Sans perdre jamais ce fil conducteur, les états successifs de l’essai « Des prières » divulguent quelque chose du « train » des « mutations » d’un auteur qui se confie toujours davantage, montre son irritation grandissante, prend plus parti et ouvre son texte aux poètes. Sans le fermer à Dieu.
-
-
Sixième tome du Journal de Pierre de L’Estoile, qui constitue, de l’avis général, le document le plus important et le plus curieux pour la connaissance historique et littéraire de la fin du XVIe siècle en France. Pour la première fois, ce texte est édité d’après le manuscrit original fr. 6678 et les variantes du manuscrit fr. 6888 de la Bibliothèque nationale de France.
Les années 1588 et 1589 enregistrent la tragédie de la monarchie française, qui voit la victoire de la Ligue et la fuite d’Henri III hors de Paris. Le meurtre des Guises à Blois par le roi déchu ne marque qu’un faible sursaut, avant l’assassinat du monarque sous les murs de la capitale. Le royaume est à l’agonie, comme le note de Thou à propos de ces années de terreur sanglante, martelées par des “événements si singuliers” et si “funestes à la France, puisque ce fut alors, que par l’indolence, ou le peu d’habilité des Ministres, aussi bien que par la foiblesse naturelle, et l’aveuglement malheureux du Prince, on vit le premier trône du monde, prêt à tomber en ruine”.
Comme pour les volumes précédents, Madeleine Lazard et Gilbert Schrenck ont procuré une édition soigneusement annotée à la lumière des travaux les plus récents.
-
Centré sur les emblèmes de Georgette de Montenay, Théodore de Bèze, Jean-Jacques Boissard et du moins connu Paul Perrot de la Sale, Webs of Allusion est le premier ouvrage qui soit consacré à l’ensemble de la littérature emblématique protestante publiée en France au XVIe siècle ainsi qu’à son mode de lecture. La diffusion dont jouit la littérature emblématique est en effet bien documentée par les diverses traductions qui s’en sont saisies – Georgette de Montenay du français au latin, à l’espagnol, à l’italien, à l’allemand, à l’anglais et au néerlandais ; Bèze du latin au français ; Boissard du latin au français et à l’allemand. Mais, alors que la compréhension des emblèmes du théologien Bèze est presque immédiate, le discours tenu par ceux de Georgette de Montenay et de Boissard requiert l’agilité intellectuelle du lecteur, qui se trouve confronté à tout un éventail de stimuli, visuels et verbaux, d’origine mythologique et surtout biblique. Cette lecture entre texte(s) et image, aussi active soit-elle, invite finalement à la méditation, encouragée par le réseau complexe des allusions. Webs of allusion vise à introduire le lecteur moderne à ce mode de lecture ardu sans doute, mais édifiant.
-
-
La carrière littéraire de Maurice Scève s’ouvre en 1533, par une découverte dont la portée est symbolique. En Avignon, au fond d’une sépulture ancienne, le poète trouve en même temps que la dépouille de Laure, la célèbre muse de Pétrarque, les premiers éléments de sa propre écriture. Si le corps de la morte lui inspire d’emblée un dialogue avec le " Thuscan Apollo ", Scève recherche bientôt d’autres corps et d’autres modèles en sorte de donner corps à sa poésie. Dans l’entreprise collective des Blasons anatomiques du corps féminin à laquelle il participe avec succès, ce n’est pas tant le corps anatomique qui l’intéressera que le paradigme physiologique, hérité de la pneumo-fantasmologie stilnoviste et remis au goût du jour par le néo-platonisme d’obédience ficinienne.
Recoupant ces influences, peu étudiées jusqu’ici, Thomas Hunkeler aborde l’œuvre majeure du poète lyonnais, Délie, et corrobore que l’appréhension du corps n’a jamais cessé d’informer la poétique de Scève.
-
-
L’Hypnerotomachia Poliphili de Francesco Colonna, parue en 1499 chez Alde Manuce, a nourri l’imaginaire du XVIe siècle et de ses suivants d’une manière étonnante. Le livre, pourtant, a une trame difficile et est écrit dans une langue expérimentale. Sur la base de l’édition des épitaphes latines du chapitre dit du Polyandrion, ou "cimetière des morts d’amour", Martine Furno examine les représentations mentales, nourries de connaissances exactes et d’images modernes, qu’un auteur comme Francesco Colonna avait de l’Antiquité, et quel pouvait être son projet linguistique. L’éclairage qu’elle donne de l’histoire culturelle de la fin du XVe siècle amende en outre la connaissance de la source dont ont surgi, cinquante ans plus tard, la traduction de Jean Martin et la création du Poliphile français.
-
Après avoir été largement diffusé en Italie, le Liber facetiarum de Poggio Bracciolini ne tarda pas à connaître en France un vif succès, notamment grâce à la traduction que Guillaume Tardif, lecteur de Charles VIII, en donna en 1492 et qui fut r©imprimée abondamment au XVIe siècle. Dès 1878, Anatole de Montaiglon en proposait une édition d’après l’impression sortie des presses d’Olivier Arnouillet à Lyon. A la fin de sa préface cependant, il reconnaissait lui-même qu’il existaitun meilleur imprimé offrant une version globalement plus satisfaisante et comportant un prologue ainsi que trois facéties supplémentaires. Ce sont donc les cent quinze facéties conservées dans cet imprimé, publié par la veuve Trepperel, que nous avons choisi à notre tour d’éditer selon les critères scientifiques contemporains, avec l’espoir que leur lecture contribuera à mieux faire comprendre le rôle de ce texte, savoureux et plein de verve, dans l’avènement du genre de la nouvelle en France.France.
-
A la Renaissance, l’écriture de l’exil ne se limite pas au discours élégiaque ovidien – qu’il s’agisse d’un exil politique ou religieux, d’une fiction littéraire ou d’un état d’âme. Liée à une réflexion plus large (stoïcienne ou platonicienne, chrétienne ou juive) sur l’exil, cette écriture se confond parfois avec le discours philosophique ou religieux de l’homo viator, tout en empiétant sur celui, scientifique, historique ou fictif, du voyage. Elle englobe plusieurs formes littéraires ou para-littéraires: récits de voyage ou de pèlerinage; allégories ou commentaires allégoriques, dialogues philosophiques ou satiriques; poésies lyriques ou didactiques. La première partie de cette étude novatrice et érudite, «Voyage et écriture, exil et identité», propose une typologie de l’exil, fondée sur les écrits de Pétrarque, de Marot et de Joannes Sambucus (Zsámboky) – ainsi que d’Horace, Dante, Rabelais, Du Bellay et Montaigne – et sur la libertas exilii. «Homo Viator» se livre ensuite à un examen de la tradition allégorique du « voyage de la vie », en aboutissant à l’ekphrasis de la Tabula Cebetis. A la lumière de ces deux premières parties, «Homo Viator: Homo Scribens » étudie enfin les ©crits d’exil de Petrus Alcyonius, auteur d’un dialogue sur l’exil, des deux marranes portugais Diogo Pires et Amatus Lusitanus et de Joachim Du Bellay, ainsi que les récits d’« exil » intellectuel du voyageur Pierre Belon et de l’auteur satrique Ortensio Landi.