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Le recueil des plus belles pièces des Poètes français, tant anciens que modernes, avec l’histoire de leur vie, dit recueil Barbin, paru en cinq volumes en 1692, et attribué à Fontenelle, est souvent considéré comme la première véritable anthologie de la poésie française. Cette entreprise représente surtout un discours sur la poésie et son histoire, énoncé dans une forme éditoriale visant à en pérenniser la mémoire. Une mise en ordre du patrimoine littéraire national s’y opère, qui soulève des enjeux sociaux, politiques et idéologiques. Que signalent la sélection des auteurs, des textes, de leurs versions, ainsi que leur organisation dans les différents volumes ? Quelle vision de la pratique de la poésie et de ce qu’est un poète promeuvent ces gestes éditoriaux, ainsi que les notices qui les accompagnent ? Au-delà du rôle de manifeste de la poésie galante ou de bilan du classicisme qu’on a souvent donné au recueil Barbin, les articles rassemblés dans ce volume éclairent ses enjeux sous un nouveau jour en croisant plusieurs approches, telles que l’analyse des principes et des effets des choix anthologiques, celle des conceptions de l’histoire des hommes de lettres, des formes poétiques et de la langue que met en jeu le recueil, ou encore l’étude de la dimension éditoriale, juridique et économique impliquée par ce mode spécifique de publication.
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Table des matières
A. BAYLE, M. BOMBART, I. GARNIER, "La connivence, une notion opératoire pour l'analyse littéraire"
I. Mise au point linguistique
C. WIONET, F. H. JIN, "Connivence pile et face: petit parcours historique du mot"
C. KERBRAT-ORECCHIONI, "Construire de la connivence dans les débats présidentiels: avec qui, par quel moyen, dans quel but?"
II. Communications conniventes
M. ROSELLINI, "Faut-il "en abreuver le vulgaire"? Le Roi, le sexe et la connivence"
N. FREIDEL, " Connivences épistolaires: le commerce triangulaire des Sévigné"
J. LECLERC, ""Vous m'entendez fort bien": les stratégies d'une communication connivente dans les parodies burlesques"
J. DORIVAL, "Hélène de Montgeroult (1764-1836): inventer le patrimoine muscial, découvrir l'avenir de la musique"
H. MERLIN-KAJMAN, "Partage par connivence versus partage transitionnel"
III. Fictions de connivence
A. RABATEL, "Analyse pragma-énonciative de la connivence représentée dans les récits"
M. HUCHON, "Connivences labéennes"
L. WAJEMAN, "Connivence érotique et création artistique dans quelques textes et images du XVIe siècle"
M. BERMANN, "Licence et connivence: les dispositifs textuels de complicité avec le lecteur dans les Contes de La Fontaine"
M. FAUGÈRE, "Lecture connivence et construction du groupe dans la fiction galante"
La connivence est une notion qui travaille bien des discours au quotidien: qu'elle soit promue comme le ferment d'une séduction par les concepteurs de nouvelles marques commerciales (qui jouent sur la dimension de complicité implicite qu'elle véhicule) ou qu'elle soit rejetée par les observateurs de la vie politique condamnant la collusion des intérêts privés et publics (à partir du sens étymologique de "complicité morale consistant à fermer les yeux sur la faute de quelqu'un"), elle semble être un outil de description efficace du jeu social. Pour autant, elle n'a que très peu fait l'objet d'une attention spécifique: mobilisée souvent en passant, elle n'a pas été théorisée en tant que notion opératoire dans le domaine des lettres voire des sciences humaines.
Cet intérêt pour ce type de liens, de pratiques et de discours que recouvre l'idée de connivence n'est pas l'apanage du monde contemporain. Un regard jeté vers le passé montre également son importance à l'époque moderne, du XVIe au XVIIIe siècle: dans le champ littéraire en particulier sont mises en oeuvre des formes de connivence spécifiques, entre auteurs, ou entre auteurs et publics, reliées à des conditions historiques précises de production et de publication des oeuvres. C'est cette période, que nous désignons par "l'âge de la connivence", qui est placée au cours de la présente enquête.
Prolongeant les derniers Cahiers du GADGES qui portaient sur des modes de relation entre auteurs et lecteurs dans diverses situations de conflits (Polémiques en tous genres, 2009; Genres et querelles littéraires, 2011; L'art de la conciliation, 2013), l'étude de la connivence explore une des manières dont se manifeste dans l'espace littéraire le regroupement de communautés sociales ou idéologiques.
Plus largement, notre pari est aussi de faire de la connivence un outil utile pour décrire et comprendre à l'époque moderne le rapport des discours et des écrits, voire des oeuvres d'art, à un public ciblé: nous la définissons comme la mise en place volontaire d'un dispositif, le plus souvent textuel, adressé à un ou plusieurs destinataires, et supposant l'existence d'un tiers exclu. A partir de cette réflexion théorique, ce volume offre l'analyse de cas concrets qui rendent perceptible aux lecteurs du XXIe siècle une "intelligence secrète active" qui peut lier les auteurs, entre eux comme à leurs publics.