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Dans la première moitié du XIIIe siècle apparaît un nouveau décor du manuscrit enluminé, appelé au plus grand succès, la marge à drôleries. Des motifs profanes et humoristiques, très souvent animaliers, se multiplient à l’extérieur du texte et de son illustration. Leur présentation se codifie vers 1250 dans les ateliers parisiens, alors centraux de la production du livre universitaire, en épousant une mise en page solidement organisée à partir des lettrines initiales. Ce décor est aussitôt adopté dans les villes du nord de la France et dans les Flandres, ainsi que dans l’Angleterre de l’est. Vers 1300, il se répand dans le sud de la France, en Espagne, en Allemagne et en Italie. Mais, dès le milieu du XIVe siècle, la prolifération des feuillages supplante les drôleries animales ou humaines. Bien que connaissant des résurgences successives jusqu’à la Renaissance, le genre est passé de mode.
Jean Wirth et son équipe de recherche discutent les interprétations existantes et proposent une méthode iconologique adaptée au sujet. Les Marges à drôleries des manuscrits gothiques font l’histoire de la constitution et de l’évolution stylistique du genre, puis de ses principaux ingrédients constitutifs. On montre successivement ce qu’il doit à l’enluminure romane, à l’iconographie de la Bible et du psautier, à l’imitation d’œuvres d’art antiques et enfin à la littérature profane. La thématique de ce décor, successivement la chasse, les jeux guerriers et pacifiques, la musique, la danse et la jonglerie, le loisir courtois, enfin la satire du système religieux, allant de l’anticléricalisme au blasphème, est étudiée. La présence paradoxale d’un décor marginal indiscutablement profane dans des livres de dévotion, la plupart destinés à des dames de l’aristocratie, est par ailleurs élucidée en partant de ce que l’on sait des commanditaires et des peintres. Les conclusions auxquelles aboutissent alors Wirth et son équipe renouvellent notre connaissance du comportement et de l’idéologie de la noblesse au Moyen Age. Elles nous apprennent également qu’en faisant mettre en image leur mode de vie et leur conception du monde, sur un mode généralement comique, les commanditaires de ces livres ont contribué à l’éclosion d’une iconographie pleine d’avenir dans la peinture occidentale : la scène de genre.
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Le manuscrit français 2188 de la Bibliothèque nationale de France est le témoin unique d’un curieux texte, le plus long et le plus leste des fabliaux, copié dans la seconde moitié du XIIIe siècle et qui nomme son auteur, aussi méconnu que son ouvrage est esseulé, Douin de Lavesne.
Trubert, cet antagoniste de la courtoisie et de la sagesse, est " un sauvage et un sot ". Vilain borné, inculte, impie à force d’ignorance, il est aussi trompeur, détrousseur, égrillard, éventreur. En le dotant de la nature trouble des fous, et en le plongeant dans un " roman à rire ", Douin fournit le contre-exemple de la tradition hostile au vilain. Au rythme des fables qui s’accumulent dans ce gros fabliau, Trubert satisfait son appétit du gain, assouvit son appétence jouissive et surtout exerce son goût immodéré pour l’acharnement méchant. Tant de malfaisance risible de la part d’un seul – tour à tour négociant simplet et chanceux, médecin fruste et fourbe, chevalier Haudecœur effarant et efficace, travesti Coillebaude profiteur et prophète, dérisoire David aux prises avec un nouveau Golïas –, pique l’attention, force la complaisance pour ses affaires et établit en définitive notre indulgence pour le personnage.