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Les vignettistes du XVIIIe siècle ont pour héritiers les illustrateurs qui se multiplient à partir de 1830, alors que se renouvellent le monde de l'édition et les arts de la gravure. Au XIXe siècle, presque tous les artistes ont travaillé pour la librairie. L'illustration, véritable journalisme du crayon selon Théophile Gautier, devient pour beaucoup un lieu de passage, un tremplin pour la notoriété et le plus souvent un lieu de relégation. Car l'illustration, jugée populaire, industrielle et mercantile, a mauvaise presse. L'illustrateur, quant à lui, se voit souvent accusé de trahir la pensée de l'écrivain, tandis qu'il souffre à son tour d'être trahi par les graveurs de reproduction.
Rodolphe Topffer (1799-1846), peintre frustré, professeur, romancier et critique d'art, doit sa renommée à la fortune inattendue de ses histoires en estampes, rebaptisées "bandes dessinées". C'est l'exemple typique de l'écrivain tenant la plume et le crayon, le modèle de cette double vocation si fréquente à l'âge de la fraternité des arts. L'illustration de ses œuvres par lui-même pose en des termes exemplaires la question centrale de l'autographie par rapport à la gravure de reproduction. J.-J. Grandville (1803-1847), tout au long de sa carrière, a réfléchi à la condition de son métier, défendu sa position de "professionnel" de l'illustration et lutté pour revaloriser le statut de l'illustrateur. Ses relations complices ou conflictuelles avec éditeurs, écrivains et graveurs révèlent les tensions qui caractérisent la librairie illustrée sous la Monarchie de Juillet. Gustave Doré (1832-1883) est certainement le plus célèbre des illustrateurs. Il est devenu l'incarnation de son métier jusque dans les moindres détails de son style de vie, de son comportement, de son corps même. Sa soumission tragique et paradoxale à l'étiquette de l'illustrateur, alors même qu'il se destinait au grand art, jette un éclairage sur le fonctionnement de la critique, sur la domination symbolique exercée par la hiérarchie des genres et des techniques.
Philippe Kaenel écrit l’histoire sociale des illustrateurs au XIXe siècle. Sur la base de documents souvent inédits, il montre que le métier d'illustrateur agit comme révélateur des catégories esthétiques et professionnelles sur lesquelles reposent alors les beaux-arts.
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Remerciements
Avant-propos de Philippe Kaenel : la presse satirique en Suisse
Introduction
Première partie
IDENTITÉ ET CHRONIQUE D’UNE REVUE SATIRIQUE ZURICHOISE
1. Genèse et figures
1.1. Décryptage de la fondation et de la vie éditoriale : focus sur Boscovits senior
1.2. La domination Boscovits
1.3. La configuration artistique et sociétale des dessinateurs
1.4. Ambitions voilées et assumées : de la délimitation avec les champs de l’art et de la presse
1.5. Liste et période d’activité des éditeurs et rédacteurs en chef
1.6. Liste et période d’activité des dessinateurs
2. Cycles de vie d’un organe bourgeois à l’identité complexe
2.1. 1875, un premier numéro fixant les choses : maquette, tendance, identité visuelle et commerciale
2.2. 1875-1886 : les années noir et blanc de l’ère Nötzli ou quand la Suisse prime sur le monde
2.2.1. Identité, maquette et technique – On affine
2.2.2. Distribution, politique commerciale et lectorat – Essor
2.2.3. Déclinaisons thématiques d’une tendance stable
2.2.4. Un langage visuel et rhétorique très typé
2.2.5. L’installation d’un appareil allégorique
2.3. 1887-1899 : ouverture, couleur et premier Jugendstil sous l’ère Nötzli
2.3.1. Identité, maquette et technique – Changements techniques et oscillations du titre
2.3.2. Distribution, politique commerciale et lectorat – En avant toute
2.3.3. Thèmes et tendance – Ouverture et modernité
2.3.4. Rhétorique – Continuité et variations
2.3.5. Langage visuel – Jugendstil, Belle Époque et caricature
2.3.6. La constellation allégorique du Nebelspalter – Allégorie, femme et un monde à soi
2.3.7. Les couvertures Jugendstil, l’affirmation d’une identité
2.3.8. En voir de toutes les couleurs
2.4. 1900-1906 : Jugendstil versus Heimatstil – Retour aux fondamentaux
2.4.1. Identité, maquette et technique – Menace sur le cadre au trait
2.4.2. Distribution, politique commerciale et lectorat – Statu quo
2.4.3. Tendance et thèmes – Recentrage
2.4.4. Rhétorique – L’empreinte de la politique
2.4.5. Langage visuel – Acculturation du Jugendstil et recyclage de formules anciennes
2.4.6. La femme, le nu et l’allégorie
2.4.7. Du Heimatstil en couverture – Le Jugendstil helvétique
2.4.8. Les aléas de la couleur
2.5. 1907-1912 : remous, hésitations et révisions
2.5.1. Identité, maquette et technique – Le temps de la refonte
2.5.2. Distribution, politique commerciale et lectorat – Recadrage
2.5.3. Durcissement de tendance et primauté à la politique
2.5.4. Rhétorique – On monte le ton
2.5.5. Victoire du Heimatstil et confinement de l’image à l’illustration satirique
2.5.6. Recul de la représentation féminine et désinvestissement de l’allégorie
2.5.7. La valse des couvertures
2.5.8. Passage définitif à la couleur
2.6. 1913-1921 : l’image en perte et la Première Guerre mondiale
2.6.1. Identité, maquette et technique – Recul
2.6.2. Distribution, politique commerciale et lectorat – Sursauts et fuite en avant
2.6.3. Tendance et thèmes – Repli et ambigüité
2.6.4. Une rhétorique clivée
2.6.5. Le chant du cygne de l’image
2.6.6. Divorce de la femme et de l’allégorie
2.6.7. Dilution de la couleur
Deuxième partie
UN CERTAIN REGARD SUR LE MONDE
3. Regard sur un monde aux déclinaisons plurielles
3.1. Une iconographie du monde 107
3.1.1. 1875-1886 : figures et motifs d’une ouverture a minima
3.1.2. 1887-1914 : déclinaisons d’un univers en expansion et d’une Europe impuissante
3.1.3. 1914-1921 : embrasement et no man’s land d’un univers en perdition
3.2. La Suisse versus Zurich : critique et iconographie
3.2.1. Le face-à-face (helvétique) du Nebelspalter avec Helvetia
3.2.2. L’alliance sacrée ou la Suisse du Nebelspalter
3.2.3. Chronique visuelle d’une ville : Zurich
3.3. La Première Guerre mondiale : la « drôle » de guerre d’une revue
3.3.1. Se situer vis-à-vis d’un conflit étrange
3.3.2. Rire en guerre
3.3.3. Montrer la guerre et renoncer au rire
3.3.4. L’après-guerre : ressassements en images
Troisième partie
CULTURE, ART ET POLITIQUE :
DISCOURIR ET PRENDRE SA PLACE
4. Discours sur l’art
4.1. La question de l’art suisse
4.2. Rendre compte des expositions et régler ses comptes via les expositions
4.3. Le salon caricatural du Nebelspalter ou la critique de la modernité
4.4. Le couple Arnold Böcklin et Ferdinand Hodler
4.5. Plaider et batailler pour la pierre à Zurich : le Kunsthaus et le Musée national suisse
4.6. La maigre réception des mouvements contemporains
5. Emprunts, transferts et autoréférentialité
5.1. Le Nebelspalter, la caricature et les revues illustrées européennes
5.2. S’enrichir du « grand art »
5.3. Le statut très particulier de Arnold Böcklin et Ferdinand Hodler
5.4. Transpositions médiales
5.5. Se citer soi-même plus que de mesure
6. Des affaires de réseaux
6.1. La leçon des archives Nötzli : un éditeur et ses réseaux
6.2. Intrigues suisses et influences françaises dans le monde éditorial: Jean Nötzli, John Grand-Carteret et Cäsar Schmidt
6.2.1. Acte un : correspondance entre Jean Nötzli et John Grand-Carteret de 1880 à 1891
6.2.2. Acte deux : 1897, querelle autour de l’« Europe actuelle »
6.3. Quand politique, art et satire se mêlent : Numa Droz et Jean Nötzli
6.4. Passions d’artistes : Richard Kissling, Evert van Muyden, Henri van Muyden et Jean Nötzli
Conclusion
Bibliographie sélective
Travaux académiques sur le Nebelspalter
Travaux académiques s’appuyant sur le Nebelspalter de manière significative
Publications de vulgarisation sur le Nebelspalter en provenance des éditions du Nebelspalter
Publications de vulgarisation sur le Nebelspalter en provenance d’autres maisons d’édition
Index
Table des illustrations
Crédits photographiques