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Le recueil des plus belles pièces des Poètes français, tant anciens que modernes, avec l’histoire de leur vie, dit recueil Barbin, paru en cinq volumes en 1692, et attribué à Fontenelle, est souvent considéré comme la première véritable anthologie de la poésie française. Cette entreprise représente surtout un discours sur la poésie et son histoire, énoncé dans une forme éditoriale visant à en pérenniser la mémoire. Une mise en ordre du patrimoine littéraire national s’y opère, qui soulève des enjeux sociaux, politiques et idéologiques. Que signalent la sélection des auteurs, des textes, de leurs versions, ainsi que leur organisation dans les différents volumes ? Quelle vision de la pratique de la poésie et de ce qu’est un poète promeuvent ces gestes éditoriaux, ainsi que les notices qui les accompagnent ? Au-delà du rôle de manifeste de la poésie galante ou de bilan du classicisme qu’on a souvent donné au recueil Barbin, les articles rassemblés dans ce volume éclairent ses enjeux sous un nouveau jour en croisant plusieurs approches, telles que l’analyse des principes et des effets des choix anthologiques, celle des conceptions de l’histoire des hommes de lettres, des formes poétiques et de la langue que met en jeu le recueil, ou encore l’étude de la dimension éditoriale, juridique et économique impliquée par ce mode spécifique de publication.
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Dans son acception conceptuelle large, qui se développe depuis la fin du XIXe siècle, la notion d’imaginaire s’est étendue ces deux dernières décennies au champ de la linguistique. L’imaginaire des langues a suscité des recherches novatrices portant aussi bien sur l’historiographie du discours de promotion de la langue française et sur les représentations des styles littéraires, que sur le pluri- et multilinguisme dans les territoires de la francophonie ou encore la pratique des langues régionales. L’on ne peut toutefois envisager un imaginaire identitaire, quel que soit son champ d’application, sans le penser en regard d’une altérité linguistique. Or, entre le début du XVIe siècle et la fin du XVIIIe, se développe une intense réflexion sur les langues suscitée par la convergence de divers faits politiques et culturels : reconnaissance en Europe des langues vernaculaires comme langues nationales, concurrence du latin comme réceptacle et véhicule de la culture lettrée, confrontation avec les langues « exotiques » mises en lumière par la vaste entreprise de colonisation et d’évangélisation des espaces amérindien, asiatique et africain. Autant de situations propices à la perception d’une altérité dans la mise en contact des langues que de cas constitutifs de l’identité linguistique. Cette tension entre identité et altérité affleure dans les traités de l’époque destinés à promouvoir la langue vernaculaire ou, au contraire, à légitimer la diversité linguistique. Elle s’éclaire aujourd’hui, dans un anachronisme fécond, des réflexions sur la polyglossie et le multiculturalisme. Elle se prolonge, ou se redouble, à l’intérieur du même espace linguistique, par les partis pris lexicaux, stylistiques, génériques qui constituent autant de langages singuliers diffractant en de multiples éclats une même langue. Ce volume permettra dès lors d’explorer le champ de déploiement de l’imaginaire des langues, dans ses modes de représentation de l’altérité linguistique, sur un plan à la fois linguistique, culturel et littéraire, qu’il s’agisse de revendiquer, voire de construire, une langue identitaire et distinctive, d’accepter ou de refuser la pluralité linguistique, d’envisager dans la rivalité ou l’harmonie la langue de l’autre ou encore de construire par l’écart ou l’acquisition une identité linguistique.