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Le développement de la philologie en tant que champ disciplinaire académique autonome est le fruit d’un long processus. Si les progrès considérables accomplis dans ce domaine à l’époque moderne sont bien connus, on sait moins ce que le siècle des Lumières, entre les découvertes amorcées aux siècles précédents et la naissance d’une science au XIXe siècle, a apporté de spécifique, parfois de décisif. Une véritable effervescence philologique, qui se prolonge au début du siècle suivant, saisit effectivement l’Europe au XVIIIe siècle, que ce soit en matière d’édition des textes anciens, antiques, médiévaux, voire plus récents, de lexicographie, de linguistique descriptive, ou encore de dialectologie. C’est ce phénomène que le présent ouvrage collectif s’efforce de saisir, dans ses tenants et aboutissants, à travers différentes figures et traditions : philologie sanskrite, grecque, germanique, celtique, italique, romane, égyptienne, etc.
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Au Siècle des Lumières, tandis que l’Europe cultivée parle français, le sud de la France connaît une situation inédite. Le français se répand dans toutes les couches de la population, pas seulement chez les élites. Un partage des langues s’effectue, apparemment selon des critères sociaux, affirmant la prééminence du français, mais en même temps, on continue à parler occitan et à écrire de la littérature dans cette langue. La production poétique est particulièrement abondante (poésie mondaine, comique, satirique…). Au théâtre, on crée de nombreuses pièces et la prose sort des limbes avec un chef d’œuvre, l’Histoira de Jean l’an pres de Jean-Baptiste Fabre. Le succès national de l’opéra en occitan Daphnis et Alcimadure (1754) de Cassanéa de Mondonville ravive ce dynamisme. Les lexicographes s’activent pour consigner la langue tandis que partout, tout au long du siècle, résonnent des noëls, des cantiques et quantité de chansons profanes. Toutes ces créations, jusqu’à ce jour très largement méconnues et jamais mises en relation, illustrent la vitalité d’une langue plus partagée qu’on n'aurait pu le penser.
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Peut-on être Français et parler une autre langue que le français ? Au XVIe siècle, la réponse est évidente : la vitalité, à l’oral, des langues de France (occitan, basque, breton, dialectes d’oïl, francoprovençal) fait partie de l’expérience quotidienne. C’est pourtant bien à ce moment-là que s’établit, dans l’espace culturel français, la hiérarchie qui prévaut encore de nos jours entre le français, langue haute comme le latin, et les langues locales, réputées basses. Cette répartition intervient moins sous l’effet de la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) qui impose de rédiger en français « et non autrement » tous les actes administratifs que selon des critères sociaux. Dès le milieu du siècle précédent, les élites abandonnent peu à peu leur langue locale et épousent la cause d’une langue qui est à la fois celle du roi, du droit et de la culture dominante. La réflexion qui s’engage au XVIe siècle autour de la norme du français est menée par les théoriciens de la langue (grammairiens, auteurs d’arts poétiques) et elle se trouve relayée par des praticiens de la littérature (Rabelais et ses épigones). Globalement, la tendance qui s’impose est celle de la dévalorisation des parlers de France et du refus de la variation.
Cette marginalisation de la différence linguistique se heurte à la réalité de terrain pour l’Église de la Contre-Réforme qui développe des stratégies différentes selon les régions, engagée au Pays basque, mitigée, voire hostile, ailleurs. Finalement, ce sont les poètes qui choisissent d’écrire dans ces langues, comme l’occitan, qui en assurent la défense la plus efficace, posant cependant la question de l’autonomie de cette production littéraire par rapport aux schémas dominants français.
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À côté de la masse des écrits publiés en français ou en latin depuis l’introduction de l’imprimerie en France, il existe toute une littérature rédigée dans les langues locales, dans les diverses formes de l’occitan (provençal, gascon, etc.) ou des dialectes d’oïl (poitevin, normand, etc.), en franco-provençal, en basque ou en breton. Ces œuvres, poétiques pour l’essentiel, posent la question du choix linguistique : alors que le français et le latin rivalisent comme champions de lexpression poétique, il est néanmoins des auteurs à faire le choix d’une langue locale a priori dépourvue de prestige. Jean-François Courouau, étudiant près de deux siècles de production, de 1490 à 1660, éclaire les motivations, principalent esthétiques, de poètes nourris de tradition savante mais soucieux d’intégrer dans leurs œuvres des éléments issus de la vie populaire. L’ensemble de cette littérature donne lieu à des œuvres originales, comme celles du toulousain Pierre Godolin (1580-1649) ou du rouennais David Ferrand (1590-1660) et constitue un chapitre largement méconnu de l’histoire littéraire et culturelle de la France.
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Jean BALSAMO,
Madeleine BERTAUD,
S. BJÖRKMAN,
M. BRIX,
P. CLAUDEL,
Jean-Pierre COLLINET,
Jean-François COUROUAU,
D. DENIS,
C. DEPASQUALE,
M. DRUON,
Solange FASQUELLE,
M.-H. FERRANDINI,
Luc FRAISSE,
E. FRANCALANZA,
Alain GÉNETIOT,
F. GREINER,
G. GROS,
J. HOURIEZ,
V. LAISNEY,
A. LANAVÈRE,
P. LATOUR,
F. MARCHAL-NINOSQUE,
Roger MARCHAL,
P. MENISSIER,
François MOUREAU,
Bruno PETEY-GIRARD,
Martine REID,
Lise SABOURIN,
M. STANESCO,
M. VINCENT
Selon l’usage des Travaux de Littérature, le champ couvert par ce volume est celui de la littérature française, du Moyen Âge à nos jours.. Écrire l’histoire des rapports entre l’écrivain et ses institutions, c’est venir se placer dans cet espace où la mystérieuse et silencieuse genèse de l’œuvre entre en contact avec l’exercice public de la littérature, tumultueux et ritualisé. Complexes, ambigus, contradictoires, parfois paradoxaux, ces rapports ne se laissent pas aisément enfermer dans des définitions simplifiées, et les méthodes de l’histoire littéraire peuvent être d’un grand secours pour la discipline vouée à la décrire. Les institutions littéraires, dans leur diversité et depuis l’origine de notre littérature, agissent sur l’écrivain selon un triple pouvoir de protection, de légitimation et de séduction que ce volume met en évidence.
Un premier volet esquisse leur histoire, partagée entre sociabilité savante ou sociabilité mondaine, préoccupation du réel ou fascination de l’utopie. Un second volet est réservé à l’Académie française, l’institution littéraire par excellence, qui depuis sa fondation n’a cessé d’entretenir avec nos plus grands écrivains des liaisons faites de séductions et parfois de malentendus réciproques.
Cette vue panoramique sur les institutions fait émerger l’image de l’écrivain qui nous est aujourd’hui familière, à savoir la création à travers l’œuvre littéraire d’un personnage public et la célébration collective de celui-ci.
Sommaire: Roger MARCHAL, Introduction. I. INSTITUTIONS ET PRIX LITTÉRAIRES AU FIL DES SIÈCLES : M. STANESCO, «La cour médiévale comme institution littéraire» ; G. GROS, «Histoire littéraire et Puy poétique : la poésie mariale de concours au Moyen Âge» ; J.-F. COUROUAU, «Une langue face à l’institution : le Collège de Rhétorique de Toulouse et l’occitan (1484-1694) » ; J. BALSAMO, «Une institution littéraire de la Renaissance : la “boutique de libraire” » ; B. PETEY-GIRARD, « Rêve académique, goût du Prince et mécénat royal au XVIe siècle» ; F. GREINER, «Jean du Puget de La Serre et le roman de cour» ; P. LATOUR, «“Donné et dédié”. Image et réalité du mécénat littéraire de Mazarin en 1643-1644» ; J.-P. COLLINET, «Une institution sous-estimée : les Conférences académiques de Richesource» ; A. GÉNETIOT, «Boileau et les institutions littéraires» ; M. VINCENT, «Le Mercure galant à l’écoute de ses “institutions” » ; D. DENIS, «Les académies galantes, entre fiction et réalité» ; C. DEPASQUALE, «Une littérature d’institution : la production française de l’Ordre de Malte au XVIIIe siècle» ; F. MOUREAU, «Sociabilité savante et autobiographie ‘à la dérobée’ : les éloges de Fontenelle pour l’Académie des sciences» ; P. MENISSIER, «Le patriarche de Ferney et les salons féminins de Paris : l’écrivain et ses protectrices» ; V. LAISNEY, «Le cénacle est-il une institution littéraire ? » ; S. BJÖRKMAN, «Le prix Nobel et Frédéric Mistral» ; L. FRAISSE, «L’esthétisation du prix Goncourt dans les écrits de Proust» ; M. BERTAUD, «Entretien avec Solange FASQUELLE : le prix Femina» ; P. CLAUDEL, «L’affaire des autres» . II. L’ACADÉMIE FRANÇAISE, DU XVIIIe SIÈCLE À NOS JOURS : R. MARCHAL, «L’institution littéraire des Lumières d’après les Éloges académiques de Fontenelle et de d’Alembert» ; E. FRANCALANZA, « Suard, du journalisme à l’Académie française ou du bon usage des institutions littéraires au tournant des Lumières» ; F. MARCHAL-NINOSQUE, «Antoine-Marin Lemierre, apologiste des institutions littéraires de son temps» ; L. SABOURIN, «Le concours de poésie à l’Académie française (1805-1870) » ; M. BRIX, «Sainte-Beuve et l’Académie française» ; M. REID, «George Sand et l’institution littéraire» ; J. HOURIEZ, «Claudel et l’Académie française, entre séduction et répulsion réciproques» ; M.-H. FERRANDINI et A. LANAVÈRE, «Entretien avec Michel DÉON» ; M.-H. FERRANDINI, «Entretien avec Jean-Marie ROUART» ; P. SABOURIN, «Entretien avec François CHENG» ; M. DRUON, «L’Académie française à l’aube du XXIe siècle».