Renaissance
-
On sait ce qu'il en est de la transparence du discours, et la parole semble souvent masquer plutôt que produire ou révéler son objet. Ce volume tente d'explorer principalement l'inscription de ces pratiques retorses dans les genres littéraires aux XVIe et XVIIe siècles. Certes, les textes à clé et les déguisements d'auteur posent de manière éclatante la question de la mystification littéraire. Mais même dans les écritures revendiquant la vérité - essai, histoire, satire -, le travail de la citation, les jeux énonciatifs brouillent le genre d'origine et utilisent le détour pour accéder au vrai. Dans les genres de la fiction, le théâtre décline tous les artifices d'une représentation et d'une énonciation complexes : corps à interpréter, comédien transformé par son rôle, scènes à visées multiples, discours protéiformes - secrets, surpris, équivoques, artificieux - où s'estompent les différences entre tragédie et comédie, où émerge l'anthropologie sous-jacente. Mais c'est sans doute l'écriture romanesque qui mène le plus loin ces jeux du mensonge et de la vérité. Le titre, la traduction, les registres et les tons, les voix inscrites dans le roman, les jeux avec l'institution littéraire construisent non seulement l'©nigme de l'histoire et des personnages, mais celle de l'auteur, de ses visées et plus généralement de la signification de l'œuvre, selon un « esprit de complexité » qui définit la modernité du roman. Par l'exhibition des artifices de la littérture, c'est au déchiffrement que nous sommes invités : dans l'œuvre spirituelle où les figures sont accès à la transcendance, mais aussi dans l'œuvre de fiction où le lecteur diligent doit élucider les signes. Le plaisir du texte et la recherche du sens sont ici inséparables : la parole masquée, au cœur de toute œuvre littéraire, s'avère, paradoxalement, un puissant révélateur.
-
En 1338, Humbert II Dauphin proposait au pape Benoît XII la suzeraineté d'une partie de ses domaines. Le procureur delphinal, d'une part, et trois commissaires délégués par le souverain pontife, de l'autre, furent chargés d'estimer la valeur des droits, des terres, des châteaux et des hommes proposés à l'inféodation.
Pourtant bien connue des médiévistes régionaux, l'enquête pontificale n'a jamais pu bénéficier d'une édition ad-hoc, tandis que son équivalent delphinal restait oublié dans les archives du Vatican. Le présent ouvrage livre donc pour la première fois à la curiosité des lecteurs ces deux documents exceptionnels intégralement transcrits et traduits. Il constitue également le dialogue de deux médiévistes aux champs de compétences différents, bien que réunis par leur intérêt commun pour l'histoire de l'ancien diocèse de Genève et des domaines de la Maison de Savoie. Les auteurs ont ainsi choisi de publier les passages des deux enquêtes relatifs à la seigneurie de Faucigny et à ses satellites. Cette cohérence géographique offre une «photographie» des territoires situés entre Genève et le Mont-Blanc dans la première moitié du XIVe siècle et un panorama de leur histoire agricole et castrale.
-
Nul ne doute aujourd’hui que les conditions de transmission des textes scientifiques fassent partie de l’histoire intellectuelle. Les marges des manuscrits (ou des éditions anciennes) n’en demeurent pas moins insuffisamment explorées pour diverses raisons: aux difficultés de lecture, de datation et d’interprétation s’ajoute le caractère disparate des informations qu’elles recèlent. Tout en perpétuant des traditions de transcription et de lecture, selon des codes parfois transposés d’une aire linguistique à une autre, les marginalia constituent aussi des espaces de liberté, où s’expriment des réactions d’humeur et s’élaborent des rapprochements textuels ou des créations originales. Sans compter que des marges servirent à préserver des informations dont le seul lien avec le texte principal était de l’ordre d’un aide-mémoire. Onze études confiées à des spécialistes des domaines grec, syriaque, arabe, hébreu et latin donnent à voir ce faisceau d’intérêts, sur des exemples d’annotations (ou de diagrammes) à contenu philosophique, mathématique, astronomique, technique ou médical. Après ces études de cas, qui s’étendent du vie au xviie siècle, une typologie des marginalia est esquissée en un essai qui dépasse le cadre des seuls manuscrits scientifiques.
-
-
Les Giolito composent, avec les Manuce et les Giunti, une des grandes dynasties éditoriales du Cinquecento. Originaires du Piémont, ils s’installent à Venise, alors parmi les villes européennes les plus actives sur le marché de l’édition. Gabriele Giolito contribuera à en faire la capitale du livre italien qu’elle restera jusqu’au terme du XVIIIe siècle. C’est en effet une importante production en langue vulgaire couvrant les champs littéraire, historique comme religieux qui distingue le métier de Gabriele. Angela Nuovo et Christian Coopens dressent le tableau d’une famille de libraires et éditeurs exceptionnelle et examinent en particulier la carrière de celui qui, le premier, qualifia de divine la Comédie de Dante et qui, en mettant ses presses au service des lettres italiennes, modifia le cours de l’histoire du livre vénitien.
I Giolito de' Ferrari furono, insieme ai Manuzio e ai Giunti, la maggiore dinastia editoriale del Cinquecento in Italia. Originari di Trino, in Piemonte, ove il fondatore dell'azienda, Giovanni, fu libraio-editore dall'inizio del secolo alla morte nel 1539, con il figlio Gabriele i Giolito trasferirono la sede centrale a Venezia, dove l'attività prosegue per diverse generazioni fino al 1610. Tra i primi esempi europei di editore moderno, Gabriele Giolito pubblicò dal 1536 al 1578 un'ampia produzione di libri in volgare che rispecchia e insieme stimola il mutamento degli interessi dei lettori dal tardo Rinascimento (testi di letteratura e storia) alla Controriforma (testi religiosi e devozionali). La sua attività editoriale è attentamente contestualizzata, grazie soprattutto a un'approfondita ricostruzione del sistema dei privilegi librari vigente in Italia. Il volume comprende molti documenti inediti (contratti, privilegi e decine di lettere di Gabriele) e infine la pubblicazione dei cataloghi di vendita dei Giolito.
-
Les Satyres chrestiennes de la cuisine papale ont été imprimées à Genève en 1560, sans nom d’auteur, par Conrad Badius. Cette charge virulente contre l’Eglise de Rome, qui répond également aux pamphlets français contre les réformés, est remarquable à plus d’un titre: son texte enlevé, d’une réelle tenue, se distingue par le soin accordé à la langue, où fusent jeux de mots salaces, calembours savoureux et allusions osées, avec un humour corrosif qui rappelle Rabelais.
Qui en est l’auteur? Cette oeuvre singulière a été longtemps attribuée, sans preuve, à l’imprimeur lui-même, Conrad Badius, et parfois même à Pierre Viret. Charles-Antoine Chamay rejette ces attributions au profit de Théodore de Bèze, le réformateur qui succédera bientôt à Jean Calvin. L’édition qu’il donne des Satyres élucide les enjeux d’un texte trop longtemps occulté.
-
-
En appelant à la linguistique, à la rhétorique, à la philologie et à l’histoire, L’Epithète et la connivence étudie une forme particulière de littérature doctrinale, produite sous François Ier par des auteurs dont les convictions spirituelles s’opposaient à la position défendue par la Faculté de Théologie. Son enjeu littéraire et idéologique consiste à rendre compte à la fois de la singularité des œuvres dites «évangéliques» et de la cohérence des voix qui ont composé ces textes. Ce faisant, la notion d’«évangélisme», jusqu’alors étroitement dépendante des historiens qui la pensent, se trouve définie par les repères que livre l’écriture littéraire. A partir du postulat que la langue d’un groupe comporte des témoignages précis de convictions partagées, l’étude d’un corpus d’une vingtaine d’œuvres en vers ou en prose produites, entre la traduction du Nouveau Testament par Lefèvre d’Etaples (1523) et l’affaire des Placards (1534) par Marguerite de Navarre, Marot, Lefèvre, Farel, Aimé Meigret comme par des traducteurs anonymes de Luther, caractérise l’«écriture évangélique», à partir du rôle spécifique dévolu à l’épithète. La récurrence de qualificatifs significatifs (seul, vray, vive [foy]), comme leur ajout ou leur omission délibérés dans les traductions de textes luthériens, prouvent que l’épithète, au-delà de sa portée pédagogique, fonctionne comme un élément de la stratégie discursive de contournement de la censure. Dans la connivence que l’épithète contribue à instaurer, Texte et Histoire se rejoignent.
-
Bernard Salomon (ca 1508 – ca 1561) a assuré l’illustration de livres, publiés principalement par le libraire-imprimeur Jean de Tournes, en tant que dessinateur et peut-être graveur. Toujours avec l’élégance gracile et le maniérisme hérités de l’Ecole de Fontainebleau auquel il ajoute une minutie virtuose dans le traitement du paysage, cet «excellent peintre» a couvert tous les domaines qui oscillent entre Ovide et la Bible: Ancien et Nouveau Testament, littérature classique et contemporaine, astronomie et architecture, vues de villes, livres d’emblèmes, Entrées royales et princières. Dressant le catalogue de ses œuvres, Peter Sharratt analyse l’utilisation que Bernard Salomon fait de ses sources comme il relève la profonde influence que l’homme a exercée sur la peinture, la gravure et l’ensemble des arts appliqués, les pièces de faïence et l’émail, la tapisserie et les soieries, le mobilier et les boiseries en particulier. L’étude traite de l’interférence du texte et de l’image dans différentes catégories d’illustration: pédagogique, documentaire, scientifique, narrative, moralisatrice, décorative. Plus de deux cent soixante illustrations rendent compte de l’étendue de l’œuvre de Salomon, fournissant des critères d’appréciation stylistique et facilitant l’identification des sources comme l’attribution de planches. Le corpus constitué permet d’apprécier le rayonnement immense de celui qui est passé à la postérité comme le Petit Bernard.
nard.
-
Sommaire: P. Bourgain, «Réflexions médiévales sur les langues de savoir»; A. Grondeux, «Le latin et les autres langues au Moyen Age: contacts avec des locuteurs étrangers, bilinguisme, interprétation et traduction (800-1200)»; P. Lardet, «Langues de savoir et savoirs de la langue: la refondation du latin dans le De causis linguae latinae de Jules-César Scaliger (1540)»; J.-M. Mandosio, «Encyclopédies en latin et encyclopédies en langue vulgaire (XIIIe-XVIIIe siècles)»; C. Lecointre, «Lappropriation du latin, langue du savoir et savoir sur la langue»; M. Furno, «De l’érudit au pédagogue: prosopographie des auteurs de dictionnaires latins, XVIe-XVIIIe siècles»; B. Colombat, «Changement d’objectif et/ou changement de méthodedans l’apprentissage du latin au XVIIe siècle? La Nouvelle Méthode […] latine de Port-Royal»; M. Bouquet, «Le De viris illustribus de Lhomond: un monument de frantin»; J. Royé, «La littérature comique et la critique du latin au XVIIe siècle»; M. Lemoine, «Les néologismes dans le commentaire de Calcidius sur le Timée»; J. Ducos, «Passions de l’air, impressions ou météores: l’élaboration médiévale d’un lexique scientifique de la météorologie»; J. Paviot, «Le latin comme langue technique: l’exemple des termes concernant le navire»; M.-J. Louison-Lassablière, «Antonius Arena ou le latin macaronique au service du savoir chorégraphique»; L. Boulègue, «Le latin, langue de la philosophie dans les traités d’amour du XVIe siècle en Italie. Les enjeux du De Pulchro et Amore d’Agostino Nifo»; G. Demerson, «Langue ancienne et nouveau Monde»;
A. Vanautgaerden, «L’œuvre ‘latin’ de Jean Froben, imprimeur d’Erasme»; J.-F. Cottier, «Les Paraphrases sur les Evangiles d’Erasme: le latin, instrument de vulgarisation des écritures?»; D. de Courcelles, «Juan Ginés de Sepúlveda (1490-1573), traducteur du grec et historiographe en langue latine: sur le choix de l’écriture en langue latine en Espagne vers 1540»; H. Cazes, «La Dissection des parties du corps humain et son double: les anatomies latine et française de Charles Estienne (Paris, 1545-1546)»; E. Wolff, «Jérôme Cardan (1501-1576) et le latin»; L. Goupillaud, «Demonstrationem mirabilem sane detexi: mathématiques et merveille dans l’œuvre de Pierre de Fermat»; J. Schmutz, «Le latin est-il philosophiquement malade? Le projet de réforme du Leptotatos de Juan Caramuel Lobkowitz (1681)»; Y. Haskell, «Bad taste in baroque Latin? Father Strozzi’s Poem on Chocolate»; A. Michel, «Le latin, les mots et les choses: Virgile, Eckhart, Edmond Jabès».