Renaissance
-
La grande affaire de l’année 1589, c’est la guerre que Genève a déclarée à la Savoie, en avril. Voilà Bèze transformé en correspondant de guerre, envoyant à ses amis des nouvelles du front. Il le fait dans le style des vieux Romains, Tite-Live, Salluste, César … Ce qui est très apprécié : on en donne lecture au Conseil de Zurich ; Grynaeus, à Bâle apprécie tant ces récits, qu’il fait faire une publication de l’une de ces lettres, non sans y ajouter quelques citations et développements supplémentaires, et ce sera une brochure d’actualité paraissant à Bâle en juillet sous le titre d’Expositio Verissima. Mais en juillet, on pouvait encore envisager l’avenir avec optimisme, espérer une victoire assez retentissante pour que le duc de Savoie se contienne au-delà des Alpes, sans plus molester les Genevois. Las ! Il n’en fut rien. Les alliés de Genève se dérobaient les uns après les autres, la France, Berne… et les Genevois restaient seuls, avec leur toute petite armée, face au gendre du roi d’Espagne ! Cela n’empêche pas Bèze d’applaudir à l’accession de Henri IV au trône de France et de lui faire une propagande infatigable auprès des Suisses. Notre volume donne aussi de curieux carnets donnés au roi Henri pour gouverner la France, car on a autrefois cru que ce document datait de l’avènement royal d’août 1589. Une étude plus attentive a permis de le dater de 1576 : on le trouvera donc parmi les Addenda des tomes précédents.
-
« Mais ce prince estoit un chef-d'œuvre de la nature; ce qu'il avoit de moins admirable, c'estoit d'être l'homme du monde le mieux fait et le plus beau. Ce qui le mettoit au-dessus des autres estoit une valeur incomparable, et un agréement dans son esprit, dans son visage et dans ses actions que l'on a jamais veu qu'à luy seul; il avoit un enjouement qui plaisoit également aux hommes et aux femmes, une adresse extraordinaire dans tous ses exercices, une manière de s'habiller qui estoit toujours suivie de tout le monde, sans pouvoir estre imitée, et enfin un air dans toute sa personne qui faisoit qu'on ne pouvoit regarder que luy dans tous les lieux où il paraissoit. » (Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, Droz, TLF 33, p. 10-11).
Jacques de Savoie-Nemours, duc du Genevois (1531-1585), chef de la branche cadette légitime de la dynastie savoyarde, était cousin d’Emmanuel-Philibert duc de Savoie. La relation qu’ils entretinrent généra une source de prestige pour Jacques, en tant qu’acteur politique indépendant, autant qu’elle instaura une entrave permanente à sa liberté de manœuvre. Homme de cour et chef de guerre parmi les plus illustres à la Renaissance, Jacques tenait en apanage le Genevois, duché qui, tout en symbolisant sa puissance dynastique, lui assurait les ressources nécessaires à ses activités militaires, politiques et lettrées, notamment à la cour de France. Matthew A. Vester retrace la fortune de Jacques de Savoie-Nemours au cœur d’un espace europ©en qui n’était normalement pas animé par des individus isolés, mais par les Maisons et leurs différents lignages, et dans lequel l’« Etat » ne jouait alors qu’un rôle politique secondaire.
-
Ces quinze études réunies par les anciens doctorants, désormais des seiziémistes estimés, de François Rigolot, Meredith Howland Pyne Professor of French Literature à l’Université de Princeton, rendent hommage à ses qualités de professeur, de savant et d’homme qui incarne à la fois l’esprit généreux montaignien et le pantagruélisme rabelaisien. Récapitulant des sujets d’intérêt que partagent le magister et ses discipuli : la poésie, la Renaissance au féminin, Pétrarque, Scève, Ronsard, Crétin, Marguerite de Navarre, Louise Labé, Rabelais, Montaigne, La Boétie et Pascal, louant l’équilibre de l’imagination créatrice, de l’explication de texte rigoureuse et d’une exquise rhétorique personnelle, Esprit généreux, esprit pantagruélicque célèbre l’érudition du Professeur Rigolot, ses publications, ses compétences pédagogiques, son soutien inlassable auprès d’étudiants et de collègues, son leadership à l’Université de Princeton et sa personnalité toujours inspiratrice.ours inspiratrice.
-
Esculape et Dionysos invite à partager, sur le mode de l’excès et de la mesure à la fois, l’esprit que Jean Céard a insufflé à tous ceux qui ont collaboré avec lui ou travaillé sous sa direction ; ainsi ce recueil d’études contribue-t-il à illustrer l’intimité du scientifique et du littéraire, du plaisir et du sens, liaison profonde que le travail de ce pédagogue et chercheur a toujours souhaité comprendre. On y goûtera une cornucopie de joyeuseté scientifique tirant ses fruits des différents champs du savoir que Jean Céard a explorés tout au long de sa carrière (philosophie, sciences naturelles, théologie), enrichissant aussi des questions génériques et d’histoire littéraire qu’il a tout particulièrement éclairées (la poésie, la traduction), ou relançant l’étude d’un auteur dont il a renouvelé l’approche (Rabelais). Cette plongée dans la culture de la Renaissance vise, au fil de quelque soixante-dix enquêtes, à témoigner de la générosité intellectuelle d’un de ses plus éminents historiens et, au nom de la curiosité sans bornes de celui-ci, à entraîner le lecteur à se nourrir «d’admiration, chasse [et] ambiguïté» pour progresser sur la voie que Jean Céard a éclairée de manière d©cisive: l’interprétation des signes au XVIe siècle.
-
Lorsqu’André Alciat ou Pierre Coustau écrivent un livre d’emblèmes, ce loisir studieux repose sur le choix d’une activité utile et morale. Deux hommes de loi s’octroient le plaisir d’un otium litteratum qui se situe en marge du temps concédé à la pratique ou à la théorie jurisprudentielles ; mais cet espace ludique, propice à des jocoseria pour le moins ésotériques, est lui-même pénétré de légalismes. L’écriture d’emblèmes repose sur un modèle épistémique emprunté à la praxis du Droit romain alors en cours de réélaboration. Loin de constituer des témoignages fastidieux d’une pensée fixiste et solipsiste, ou encore une contrainte d’ordre strictement professionnel, les commentaires aux Pandectes et aux autres fragments de Droit romain de la plupart de ces juristes humanistes témoignent avant tout de la perméabilité de cette culture légale et de l’étendue de ses applications. Les commentaires de Droit civil, dont la forme volontiers polyphonique est appel©e à restaurer un « matériel complexe » par le biais d’une critique historique et philologique, servent alors de base à l’élévation d’un nouvel idéal de Justice, à la recherche d’images et de symboles forts, les médailles, hiéroglyphesou emblèmes autour desquels se rallie une communauté active de juristes aussi inventifs qu’érudits.
-
Il paraît enfin acquis que Sébastien Castellion fut un traducteur sagace et talentueux de la Bible en latin – la Biblia de 1551, après son essai sur le Pentateuque de 1546, le Moses Latinus – comme en français – la Bible nouvellement translatée à Bâle, chez Johann Herwagen, en 1555.
Après La Genèse qu’ils ont donnée en 2003 (TLF 553), deux des éditeurs de l’équipe initiale, n’ayant pu sans doute se dessaisir de la langue novatrice de Castellion, éditent aujourd’hui sa traduction des livres que la tradition attribue à Salomon (Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des cantiques). Nicole Gueunier et Max Engammare rappellent l’histoire de l’agrégation de ces trois livres et examinent le contexte exégétique que la Réforme protestante leur a forgé. C’est ainsi que l’histoire de la traduction de ces derniers, celle du Cantique des cantiques en particulier, est rapportée au cadre éminemment polémique des controverses qui opposèrent Sébastien Castellion à Théodore de B¨ze et à Jean Calvin. Par ailleurs, le travail de traduction auquel s’est livré Castellion pour le français est comparé à celui qu’avait nécessité son édition latine. Les outils critiques usuels – notes, bibliographie, glossaire – serventla langue de Sébastien Castellion et en définitive célèbrent sa belle singularité.
-
Alors qu’au XVIe siècle le pédant est en charge de l’instruction des jeunes gens au collège comme à l’université, à la fin du siècle suivant, le mot désigne toute personne qui abuse de son savoir dans sa relation aux autres. En même temps, la littérature comique rend populaire le personnage du pédant, universitaire et savant sentencieux dont le ridicule s’exprime à la fois dans l’allure dégradante, la conduite discordante et le jargon inintelligible. Figure caricaturale du clivage entre l’être et le paraître, sa présomption est à l’égal de son «incivilité» et de la dérision qui l’accompagne. Dégageant les traits de ce personnage, dans son usage tronqué du savoir et du langage, Jocelyn Royé montre comment la notion de pédantisme se développe à partir de Montaigne et culmine dans la représentation cocasse qu’en donne Molière. Mais entre ces deux auteurs, nombre d’écrivains placent le ridicule du pédant et la charge contre le pédantisme au cœur de leurs uvres, comme autant de manières de participer aux débats, aux polémiques et aux mutations épistémologiques en cours. Aussi, est-ce bien une critique de la sclérose intellectuelle, des opinions péremptoires et des attitudes affectées qu’aliment le succès littéraire dont jouit la figure du pédant.
-
Agrippa d'Aubigné ou les misères du prophète explore les paradoxes qui s'attachent à la fonction prophétique. Parole absolue qui doit s'incarner dans les contingences de l'histoire, elle aliène son énonciateur, qui ne possède en général ni l'art, ni les prédispositions naturelles, ni l'envie pour en assumer la mission. Rêve de performativité et d'efficacité, le propos prophétique est avant tout le constat de son impuissance dans le présent, du rejet et de la suspicion qui caractérisent sa réception. Dans Les Tragiques, Aubigné estime la mission de sa parole à l'aide de figures, telles que celles de Jonas et Jérémie, exemplaires d'un prophétisme conçu sur le mode du tourment. La complexité de l'èthos prophétique albinéen se nourrit en outre de la place problématique qu'occupe le prophète dans l'ecclésiologie protestante, position vide qui ne laisse plus guère de champ qu'à des postures, comme le montrent les écrits de Luther, Calvin et Zwingli. Un problème de reconnaissance affecte le prophète, au point d'en devenir probablement une des caractéristiques intrinsèques. Si Agrippa d'Aubigné intègre cette donnée dans sa propre énonciation, il est remarquable que cette dernière perturbe aussi le discours critique sur son « prophétisme » dès la première réception des Tragiques au XIXe siècle.
-
-