Renaissance
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Alors qu’au XVIe siècle le pédant est en charge de l’instruction des jeunes gens au collège comme à l’université, à la fin du siècle suivant, le mot désigne toute personne qui abuse de son savoir dans sa relation aux autres. En même temps, la littérature comique rend populaire le personnage du pédant, universitaire et savant sentencieux dont le ridicule s’exprime à la fois dans l’allure dégradante, la conduite discordante et le jargon inintelligible. Figure caricaturale du clivage entre l’être et le paraître, sa présomption est à l’égal de son «incivilité» et de la dérision qui l’accompagne. Dégageant les traits de ce personnage, dans son usage tronqué du savoir et du langage, Jocelyn Royé montre comment la notion de pédantisme se développe à partir de Montaigne et culmine dans la représentation cocasse qu’en donne Molière. Mais entre ces deux auteurs, nombre d’écrivains placent le ridicule du pédant et la charge contre le pédantisme au cœur de leurs uvres, comme autant de manières de participer aux débats, aux polémiques et aux mutations épistémologiques en cours. Aussi, est-ce bien une critique de la sclérose intellectuelle, des opinions péremptoires et des attitudes affectées qu’aliment le succès littéraire dont jouit la figure du pédant.
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Agrippa d'Aubigné ou les misères du prophète explore les paradoxes qui s'attachent à la fonction prophétique. Parole absolue qui doit s'incarner dans les contingences de l'histoire, elle aliène son énonciateur, qui ne possède en général ni l'art, ni les prédispositions naturelles, ni l'envie pour en assumer la mission. Rêve de performativité et d'efficacité, le propos prophétique est avant tout le constat de son impuissance dans le présent, du rejet et de la suspicion qui caractérisent sa réception. Dans Les Tragiques, Aubigné estime la mission de sa parole à l'aide de figures, telles que celles de Jonas et Jérémie, exemplaires d'un prophétisme conçu sur le mode du tourment. La complexité de l'èthos prophétique albinéen se nourrit en outre de la place problématique qu'occupe le prophète dans l'ecclésiologie protestante, position vide qui ne laisse plus guère de champ qu'à des postures, comme le montrent les écrits de Luther, Calvin et Zwingli. Un problème de reconnaissance affecte le prophète, au point d'en devenir probablement une des caractéristiques intrinsèques. Si Agrippa d'Aubigné intègre cette donnée dans sa propre énonciation, il est remarquable que cette dernière perturbe aussi le discours critique sur son « prophétisme » dès la première réception des Tragiques au XIXe siècle.
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La B.I.H.R. est le fruit de la coopération internationale entre dix-huit pays où la Fédération est représentée (pour l’Europe : Allemagne, Belgique, Bulgarie, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Suisse ; sur les autres continents : Amérique hispanique et Brésil ; Etats-Unis d’Amérique, Japon). Chaque contributeur procède, année après année, au recensement de tout ce qui a paru dans son pays, à savoir les monographies et les articles contenus dans des revues et des collectifs (mélanges, actes de congrès, etc.), à l’exception toutefois des comptes rendus. La Rédaction centrale se charge de collecter les différentes contributions en vue d’une publication annuelle. Les termes Humanisme et Renaissance y sont entendus dans leur sens le plus large; ils embrassent toute l’activité humaine – économique, juridique, scientifique, technique, littéraire, philosophique, religieuse, artistique, au cours des XVe et XVIe siècles. Nous avons toutefois conservé une certaine souplesse à ces limites chronologiques, compte tenu du développement asynchrone de ces mouvements culturels dans les différents pays concernés.
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Vers 1353, Pétrarque reçut de la part de l’ambassadeur byzantin en Italie un manuscrit grec d’Homère. Cet événement mit fin à une absence plusieurs fois séculaire des épopées homériques en Europe occidentale, même si la légende de la guerre de Troie et des errances d’Ulysse était connue au public médiéval par le biais de sources latines et vernaculaires. Cette étude se propose de tracer le retour des épopées homériques, lui-même étroitement lié au développement de l’hellénisme, à la conscience occidentale. Grâce à l’imprimerie, le texte grec d’Homère est devenu disponible dès 1488, et même avant cette date des traductions latines de l’Iliade avaient vu le jour. Néanmoins, le style d’Homère, considéré comme rude et inélégant par ses premiers lecteurs, a de quoi rendre perplexes certains humanistes de l’époque, ce qui ne les empêche pas de voir en lui un poète divinement inspiré. Peu à peu, la res publica litterarum s’y habitue, aidée dans un premier temps par les exilés grecs de Constantinople et les humanistes italiens, ensuite par les humanistes de l’Europe du nord, notamment Philipp Mélanchthon et ses élèves. La première partie de cette étude examine la diffusion de l’Iliade et de l’Odyssée à l’échelle européenne, en identifiant et analysant les éditions, les traductions latines et les commentaires qui paraissent dès 1473 jusqu’à la fin du XVIe siècle. L’interprétation du texte, souvent influencée par les allégeances confessionnelles des commentateurs, reçoit une attention particulière : quelle est l’influence des exégètes anciens sur les humanistes de la Renaissance ? comment est-il possible de réconcilier les idées religieuses et philosophiques de l’a¨de grec avec le christianisme ? La seconde partie de l’étude se concentre sur la réception d’Homère en France, où Guillaume Budé et Jean Dorat ont inspiré des générations successives d’écrivains, profondément influencés par l’esthétiue et par la philosophie d’Homère. En particulier, l’emploi des épopées fait par des prosateurs comme Jean Lemaire de Belges et François Rabelais, et par les poètes de la Pléiade est analysé. Les traductions françaises d’Homère sont également examinées. Enfin, nous voyons Jules-César Scaliger mettre en doute l’esthétique homérique et préparer la voie pour le classicisme du grand siècle. Cet ouvrage est complété par une bibliographie détaillée de toutes les éditions d’Homère imprimées jusqu’en 1600.
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Laurence BERNARD-PRADELLE,
Michel CASSAN,
Isabelle CIROLO,
Guy DEMERSON,
Jean DUPÈBE,
Max ENGAMMARE,
Philip FORD,
Perrine GALAND-WILLEMEN,
Jean-Eudes GIROT,
Fernand HALLYN,
Pierre LAURENS,
Virginie LEROUX,
Catherine MAGNIEN-SIMONIN,
Michel MAGNIEN,
Isabelle PANTIN,
Bruno PETEY-GIRARD,
Anne-Pascale POUEY-MOUNOU,
Francesco TISSONI,
George Hugo TUCKER,
Jean VIGNES,
Florence VUILLEUMIER LAURENS
Sommaire Table of contents: Ch. de Buzon, Avant-propos ; J.-E. Girot, Préface; G. Demerson, «Dorat et la famille de Lorraine-Guise»; J. Vignes, «Jean Dorat et Jean-Antoine de Baïf»; M. Cassan, «Les choix politiques et confessionnels de la ville natale de Jean Dorat, durant la seconde moitié du XVIe siècle et les débuts du XVIIe siècle»; Max Engammare, «Que fais tu là Dorat… en bas d’une haute fenestre? La religion de Jean Dorat d’une piété convenue à une spiritualité engagée»; B. Petey-Girard, «Dorat, Henri III et la Confrairie de saincte Cécile»; I. Cirolo, «Dorat et les arts plastiques, les Oracles des douze sibylles»; F. Vuilleumier-Laurens et P. Laurens, «Le Bal des Polonais (1573): Anatomie d’une description »; F. Tissoni, «Jean Dorat lecteur des Dionysiaques de Nonnos de Panopolis»; Ph. Ford, «Jean Dorat et l’allégorie homérique : les sources»; G. H. Tucker, «Jean Dorat et Giovanni Matteo (Giovam-matteo) Toscano, lecteurs des Pythiques de Pindare en 1566 : le double témoignage des ouvrages publiés (1575-1580) de Toscano et d’un livre annoté par lui (1564-1566/7 [?])»; L. Pradelle, «A propos du “fabuleux manteau” chez Jean Dorat: une lecture de l’Ode latine “sur la Cosmographie d’André Thévet”»; F. Hallyn, «Jean Dorat et l’anagramme : ressource poétique et problème herméneutique»; A.-P. Pouey-Mounou, «Dorat, figure de l’expérience poétique dans quelques textes de Pierre de Ronsard»; P. Galland-Hallyn, «La poétique des Odes de Jean Dorat: l’influence de Salmon Macrin»; V. Leroux, «Ter repetamus hymen: Dorat et la tradition antique de l’épithalame»; I. Pantin, «Dorat et la Poésie de la Nature, du ciel et du Nombre»; M. Magnien, «Sur un échange poétique méconnu entre Dorat et La Boétie autour de l’Edit du semestre (1554)»; J. Dupèbe, «Précisions sur la jeunesse de Jean Dorat»; J.-E. Girot, «Dorat et les humanistes : les paradoxes de la renommée»; C. Magnien-Simonin, «Inventaire des contributions imprimées éparses de Jean Dorat - Présentation - Inventaire - Index nominum - Chiffres ou signatures abrégées».
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Depuis la thèse de droit de Madeleine Marabuto (1967), aucune étude générale n’a été consacrée aux Monarchomaques dans l’historiographie française. Cet ouvrage vient donc combler une lacune. Pierre-Alexis Mellet part de l’invention du terme de « monarchomaque » en 1600 par William Barclay. Mesurant son intention polémique, il dissocie le mot de son étymologie (tueur de roi, destructeur de la monarchie) pour lui conférer un sens précis : le monarchomaque est l’auteur calviniste qui, dans les guerres de religion, fait valoir le rejet de la tyrannie, l’obéissance conditionnelle, la double alliance – qui se distingue du contrat social –, la souveraineté du peuple – mais sans préfiguration des républiques modernes – et, surtout, la résistance armée légitime. Ce dernier critère est central, car il permet de redéfinir la guerre juste pour finalement justifier l’appel aux princes étrangers.
Une dizaine de textes, traités importants ou simples pamphlets, anonymes ou signés, latins ou français, correspondent à chacun de ces critères. Ils ont tous été publiés entre 1567-68 et 1579, puis souvent réédités et traduits jusqu’en 1600, dans un contexte de guerres et de tensions politiques et religieuses en Europe. Y figurent notamment la Question politique de Jean de Coras, la Franco-Gallia de François Hotman, le Droit des magistrats sur leurs sujets de Théodore de Bèze, les Vindiciae contra tyrannos de Junius Brutus et le Réveille-matin des François d’Eusèbe Cosmopolite. Est-ce à dire que ces auteurs sont des Monarchomaques ? Après une longue discussion des arguments qu’ils utilisent, de la circulation de leurs ouvrages en Europe, des sources bibliques et historiques qu’ils invoquent et de la comparaison avec leurs autres écrits, il s’avère préférable de parler de traités monarchomaques plutôt que d’auteurs monarchomaques.
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«L’Apologie pour Herodote», publiée en 1566, n’offre pas seulement au lecteur une foison d’histoires constitutives d’une enquête anthropologique; elle présente un réquisitoire contre toutes les formes d’abus et de tromperie, celles auxquelles s’adonnent les marchands, les médecins, les gens de justice, et plus encore les clercs. Henri Estienne dénigre la superstition des catholiques telle qu’elle s’exprime dans leurs livres, mais il s’en prend aussi à la messe, à l’invocation des saints, au culte des images et des reliques. Sa dénonciation rallie le combat que l’humaniste mène contre la sottise avec les armes de l’esprit. Au-delà de la diatribe, «L’Apologie» est aussi une réflexion sur l’Histoire, qu’Estienne entend libérer de l’exemplarité et qu’il conçoit comme une science du concret. L’érudit se fait ainsi le peintre du temps présent et confronte à la connaissance des mœurs antiques l’observation immédiate des comportements quotidiens. Nouveau Démocrite, Henri Estienne se distingue par une écriture de l’ironie qui rapproche le lointain et met à distance le familier.