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Homo mirabilis ! En contemplant des fillettes au visage velu, des nains, des géants, des momies, des squelettes, organes, ou calculs pierreux, qui niera que l’humain n’ait sa place parmi les curiosités ? Les « raretés de l’homme » font le bonheur des collectionneurs, pour le plaisir du spectacle ou de l’enquête savante. Entre stupeur et découvertes perplexes, le trouble produit par ces singularités modèle les discours pour négocier la frontière avec l’animalité, la proximité avec la sauvagerie, la question de l’infra-humanité, les porosités entre masculin et féminin, le rapport au passé des géants et la génération incongrue de corps étrangers.
Souvent oublié des travaux sur les naturalia, l’homme entendu comme objet de collection méritait une étude des représentations qui croise textes et images. Prise dans le « connais-toi » d’une anthropologie en devenir, la culture écrite et visuelle de la curiosité cherche en effet à penser l’humain en ses formes exceptionnelles dans les premiers « musées de l’homme » des XVIe et XVIIe siècles.
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Table des matières
Myriam MARRACHE-GOURAUD, Introduction. La force des choses
Aurélie BARRE, La ceinture et le voile. Les objets-signes de Pyrame et Thisbé (roman anonyme du XIIe siècle)
Fabienne POMEL, L’objet à la cuisine du sexe et du genre : herméneutique du moule à gaufres dans L’Advision Cristine
Dominique BRANCHER, Quand le ressort se montre : un tournebroche à texte
Violaine GIACOMOTTO-CHARRA, Apprivoiser l’objet blessant. Les instruments chirurgicaux d’Ambroise Paré
Pierre-Élie PICHOT, Fabriquer l’objet épique dans le poème maniériste de la Renaissance
Julien PERRIER-CHARTRAND, Objet de culte et de désir. Le modèle eucharistique au service du port d’armes universel dans le Traicté de l’espée françoise (1610) de Jean Savaron
Pierre LYRAUD, Au bord de la description : usages de l’objet chez Pascal
Olivier LEPLATRE, Présence obtuse des objets dans Le Roman comique de Scarron
Aurélia GAILLARD, La vie chromatique des objets dans la fiction narrative au XVIIIe siècle
Bénédicte PROT, La clé et le cas du poète Gilbert
Patrick MATHIEU, Objets sexués et fétichisme chez Flaubert : vers une psychocritique
Giampiero MARZI, La fonction des livres dans le réalisme flaubertien
Marie-Christine GARNEAU DE L’ISLE-ADAM, Objets et choses de Chateaubriand à Proust : le cas-limite des animaux et la chambre de Waldmünchen
Angelos TRIANTAFYLLOU, André Breton, objecteur-poète ou l’objectivation de et par la poésie
Christakis CHRISTOFI, Bing objet corps
Murielle Sandra TIAKO DJOMATCHOUA, Du jeu des perceptions autour de l’objet à la scénographie de la violence du sacré dans Les noces sacrées de Seydou Badian
Françoise BOMBARD, Repenser l’objet. L’exemple du théâtre de Giraudoux
Célestine Dibor SARR, La prégnance de l’objet dans Le Planétarium (1959) de Nathalie Sarraute, entre réflexion et projection existentielle
Trevor DONOVAN, Sortie d’usine de François Bon : tentative littéraire d’une réalité adéquate
Claire OLIVIER, La Scan Disk Cruzer UFD56 ou l’engin narratif
Marinella TERMITE, Objets en action à la limite de l’humain : à propos de Jean Echenoz, Jean-Philippe Toussaint et Tanguy Viel
Amélie SARNIGUET, L’impossible relique : restes d’objets dans Sur la Scène intérieure, Faits de Marcel Cohen
Simona POLLICINO, Fragments d’objets et bribes de mots : Télésco-pages de Valérie Rouzeau, ou le microcosme vis-à-vis du macrocosme
Marie KONDRAT, Contre l’image poétique : la nudité comme objet chez Emmanuel Hocquard
Index nominum
Nos auteurs
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C’est par l’intermédiaire de leur catalogue que les premiers cabinets de curiosités se sont fait connaître dans toute l’Europe. Pris entre le bruit du monde et les grandes orgues de la « littérature », ces livres sont pourtant méconnus, délaissés par la critique.
Or, leurs mots, leur langue, leurs stratégies éditoriales, rien n’est indifférent aux auteurs conscients des enjeux d’une production qui passe les frontières génériques. Écrits pour le lecteur affamé de narrations épiques comme pour l’érudit en quête d’observations savantes, entre lieu de mémoire et éloge du bizarre, ces textes prétendent patrimonialiser les curiosités, tout en rendant expressive l’intensité de leur présence.
Cette étude est la première à affronter la question d’une poétique de la curiosité. À la lumière de textes inédits ou nouvellement traduits, elle analyse la complexité de ces « légendes » chargées de penser, classer et faire parler les objets inertes, ouvrant une réflexion sur les premiers cartels de nos musées.
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Sophie ARNAUD-SEIGLE,
B.C. BOWEN,
Michel CASSAN,
Jean CÉARD,
Richard COOPER,
Marie-Luce DEMONET,
C. ESCARMANT,
Stéphan GEONGET,
J. HIERNARD,
Mireille HUCHON,
L. JAGUENEAU,
Jelle KOOPMANS,
Claude LA CHARITÉ,
J.-L. LE QUELLEC,
Myriam MARRACHE-GOURAUD,
Trevor PEACH,
Gaspare POLIZZI,
M. RENAUD,
François RIGOLOT,
Titia J. SCHUURS-JANSSEN,
Paul J. SMITH,
D. VEILLON,
Véronique ZAERCHER
Sommaire / Table of contents: Avant-propos: M.-L. DEMONET, "L'effet de terroir"; R. COOPER, "L'Histoire en fête"; G. POLIZZI, "Rabelais, Thenaud, l'île de la Dive et le Quint Livre"; M. MARRACHE-GOURAUD, "Lanternes poitevines;" C. ESCARMANT et J.-L. LE QUELLEC, "La chasse au Bitard des étudiants poitevins"; M. HUCHON, "Rabelais, Bouchet et la Nef des Folz"; S. GEONGET, "Panurge et Xenomanes, Rabelais et Bouchet"; F. RIGOLOT, "Le Labyrinthe du songe-mensonge"; C. LA CHARITE, "De Architectura Orbis et De l'excellence et immortalité de l'ame d'Amaury Bouchard"; R. GORRIS CAMOS "Va, lettre, va (...) droict à Clément"; B. C. BOWEN, "Rabelais, Claude Cotereau et la tranquillité de l'esprit"; P. J. SMITH et T. J. SCHUURS-JANSSEN, "Plus feal que ne fut Damis a Appoloneus"; D. VEILLON, "Le De legibus connubialibus d'André Tiraqueau"; J. CEARD, Rabelais, "Tiraqueau et Manardo"; J. HIERNARD, "Les Germani à l'Université de Poitiers au temps de Rabelais"; M. CASSAN, "Le panthéon des plumes illustres du Poitou"; L. JAGUENEAU, "Polymorphisme et variation lexicale chez Rabelais"; J. KOOPMANS, "Rabelais et l'esprit de la farce"; T. PEACH, T"rois lustres d'édition poitevine"; V. ZAERCHER, "L'écriture à "diverses mains"; S. ARNAUD, "Peut-on attribuer à Jacques Peletier du Mans la paternité des Discours non plus mélancoliques que divers?"; M.-L. Demonet, "Rabelaiseries"; M. RENAUD, "En Poitou, c'est-à-dire nulle part...".
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Panurge, le moins estimé des personnages rabelaisiens, est souvent traité comme le faire-valoir du géant Pantagruel. Rabelais le convoque cependant si fréquemment et sous des traits suffisamment variés et essentiels à l’intrigue pour qu’il paraisse réducteur de ne voir en Panurge qu’un actant de second ordre. Elément complexe de la trame romanesque, Panurge étonne tout d’abord par son éloquence atypique, dont Myriam Marrache-Gouraud dégage les particularités en les jaugeant à celles des autres personnages. Son discours, où s’agrègent des langues diverses, des pièces poétiques, des pastiches et des mélanges déconcertants, résiste à la définition. Le boniment éclectique de Panurge est alors tout proche de la narration. Le discours de Panurge provoque d’une autre manière encore lorsqu’il décode des signes, notamment linguistiques. Ses audaces interprétatives témoignent d’une habileté autant que d’une méthode inédites. La singularité du personnage tient à cette insolence herméneutique qui multiplie les gloses : elle s’engage toujours " au rebours " des attentes et des convenances sémiotiques dont elle ne peut se satisfaire. L’excentricité se mesure enfin aux agissements de ce personnage paradoxal : apparentés aux fourberies du gueux littéraire et aux façons du fou de cour, ils surprennent et empêchent la classification. A ce titre, ils confirment le ton du discours. Leur fonction avive celle de la parole : " excuse " de Rabelais, Panurge endosse le rôle essentiel qui offre à son auteur d’esquiver les attaques de la censure. Toujours innocente, et pourtant très corrosive, cette voix de fiction introduit dans le roman l’office rempli par la carte du Mat dans le jeu de tarot.