Joël BLANCHARD
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Un renouveau sensible des études commyniennes, l’élargissement et la diversification de leurs champs coïncident avec le 500e anniversaire de la mort de Philippe de Commynes, faisant de cette commémoration officielle un acte de mémoire bien légitime, mais plus encore peut-être un point de départ pour des interrogations fécondes. Littéraires, historiens, juristes se rejoignent autour de quatre problématiques : une écriture commynienne hésitant entre filiations et création ; une pragmatique politique et ses rapports complexes à l’institution et au droit ; la nature et l’ampleur des réseaux tissés par un des « accoucheurs » de l’Europe ; la transmission sans rupture de l’ « éternel » Commynes, vivant et réinterprété à travers héritiers et passeurs. L’enquête est plus que convaincante : le mémorialiste gagne en relief, en épaisseur et en nuances. Et, du même coup, les interrogations prennent, elles aussi, des formes nouvelles. Ce colloque aura donc été un passionnant épisode dans une série qu’il convient de poursuivre.
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Poser la question de l’actualité de « l’espace public » au Moyen Age est d’autant plus légitime que le théâtre médiéval est à la fois un théâtre de rue et un lieu de contestation. La polysémie de l’expression (espace immatériel et scénique) s’y trouve heureusement rendue. Le recueil La Vallière (BNF ms. fr. 25467), composé pour la représentation, en est une remarquable illustration : il fait alterner quatre pièces écrites pour être jouées sur des tréteaux : deux farces, dont chacune est suivie par une moralité ; jusqu’alors la critique s’était intéressée aux deux farces, la Pipée et Pathelin, plus accessibles, mais la vraie raison d’être du recueil est à chercher du côté des moralités politiques. Des moralités, Joël Blanchard a édité la première, la Moralité à cinq personnages ; il restait à éditer la Moralité à six personnages, texte difficile mais exceptionnel, alliant, dans une étrange unité, théâtre, astrologie et politique. Le cadre de la moralité est le monde de Louis XI ; les méthodes de gouvernement, l’arrivisme régnant sont dénoncés dans l’atmosphère contestatrice des Etats généraux de 1484, à l’heure du bilan d’un règne. C’est l’œuvre d’un basochien, dun homme au courant des habitudes universitaires et des mœurs politiques, mais aussi d’un rhétoriqueur faisant preuve d’une magistrale virtuosité verbale et formelle, à qui on serait tenté d’attribuer un nom, celui de Henri Baude. On sait cbien le théâtre médiéval profane nous est aujourd’hui difficile d’accès : les grilles de lecture en sont bien éloignées de nos habitudes de pensée modernes et l’interprétation est rendue malaisée par les allusions parfois hermétiques et une langue à la fois rude et ingénieuse. Mais, décryptée par un des meilleurs spécialistes de la période, la Moralité à six personnages, publiée pour la première fois, apporte un éclairage fort et neuf sur l’histoire politique et culturelle de la seconde moitié du XVe siècle.
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La présente publication est la première édition véritablement critique des Mémoires de Philippe de Commynes. Elle comporte l’ensemble des variantes, quelque douze mille. Réalisée à partir des recherches les plus complètes sur les manuscrits et sur la réception éditoriale extraordinairement riche des Mémoires, elle fournit un instrument de travail entièrement inédit et un progrès considérable par rapport aux anciennes éditions (E. Dupont, 1840 ; B. de Mandrot, 1903 ; J. Calmette, 1924). Elle permet également de renouer avec une tradition scientifique rigoureuse, dans laquelle Commynes et son œuvre retrouvent toute leur place, leur diversité et leurs reflets contrastés. Diplomate, homme de procès, homme d’argent, armateur, confident des grands de son temps, écrivain, Commynes nous révèle la trame multiple de ses activités et réseaux européens. Augmentée d’un index analytique de 160 pages, d’un index des lieux et personnes de 250 pages, de notes abondantes établies à partir de recherches récentes et parfois inédites, l’édition de Joël Blanchard répond aux attentes des chercheurs et leur fournit un outil de travail indispensable. Elle constitue par ailleurs la pièce maîtresse de l’édition en cours à Genève du « corpus » commynien par Joël Blanchard, avec les lettres déjà publiées, et les « Pièces originales » à paraître (deux volumes).
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Le tome IV du Devisement du Monde retrace l'essentiel des déplacements de Marco Polo à travers l'empire de Khoubilai Khan. Le voyageur décrit des villes célèbres, situées à l'est, à proximité du Grand Canal, comme Dezhou, Jining ou Xuzhou. Mais surtout il nous fait descendre de Pékin jusqu'à l'extrême sud-ouest de la Chine. A le suivre on chemine vers Xian, l'ancienne cité du Premier Empereur, on atteint Chengdu, métropole du Sichuan, avant de gagner Kunming, capitale du Yunnan, aux confins glacés du Tibet et des forêts tropicales de Birmanie. On parcourt des vallées fertiles et des montagnes sauvages. On croise des ethnies singulières. Le texte apporte des informations précieuses sur les curiosités des régions traversées (ponts extraordinaires qui enjambent les fleuves, culture du vers à soie, usage de monnaies de coquillages, luttes contre des sauriens gigantesques) et sur les coutumes étranges des peuplades rencontrées (femmes qui s'offrent aux étrangers, scènes de chamanisme). Ce volume nous fait découvrir la diversité géographique et culturelle de la Chine des profondeurs.
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Voici enfin réunies les quatre-vingt-une lettres de Philippe de Commynes connues à ce jour. Elles constituent un des plus anciens recueils épistolaires de la langue française. La forte proportion de missives entièrement autographes ajoute au caractère exceptionnel de ce recueil et permet, ce qui est singulier pour le Moyen Age, de saisir les modes d’écriture et jusqu’aux habitudes graphiques de l’auteur. L’ensemble documente les quarante années que Commynes passa au service de trois rois : l’évocation des charges résultant de l’éminence de son rôle, des offices liés à la diplomatie émergente, mais aussi celle des aspects de son activité stupéfiante et des affaires «privées» nous fait osciller des leçons de l’histoire aux traits intimes de la «continuelle résidence», cette familiarité unique avec le prince. Toutes ces lettres concourent ainsi à reconstituer le réseau européen de Commynes : personnalités princières de Louis XI à Louis XII, membres prestigieux de l’état-major des Médicis, autorités de l’argent et de l’ombre défilent. Elles ramènent finalement à la genèse des Mémoires : la convergence de deux usages différenciés de l’écriture, respectivement liés aux missives et aux annales, mais nourris par les mêmes expériences et marqués au sceau du même pragmatisme, éclaire à la fois les mutations culturelles et politiques à l’aube des temps modernes et leur transposition dans le champ littéraire.
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A l’aube des temps modernes, les premiers ambassadeurs mettent en place de nouvelles conceptions et pratiques de la diplomatie. Le parcours de Commynes s’inscrit dans ce paysage remodelé, éclaté. Transfuge, diplomate: voilà deux expériences qui font de lui le témoin éclairé des comportements politiques de son temps. Dans ce contexte, les Mémoires élaborent un «art» de gouverner dont ils décrivent les stratagèmes et les ruses. A un moment où les formes historiographiques exaltent la fonction sacrée d’un roi «très-chrétien», la démarche de ce «Machiavel en douceur» (Saint-Beuve) illustre, en contrepoint, une autre approche du pouvoir, dont elle souligne la dimension pragmatique. Ainsi naît, en réponse aux exigences des temps nouveaux, une pratique d’écriture libérée des rigidités antérieures, soucieuse mais non dupe du présent, porteuse de leçons pour l’avenir. Cet ouvrage s’appuie sur une abondante documentation encore inédite et rompt avec une «analyse» qui a enfermé le premier mémorialiste dans le champ clos du drame personnel. Il redéfinit le territoire du politique, dont la toile, désormais tissée par les diplomates plus que par les seigneurs de guerre, fait découvrir en Commynes le dernier maillon d’une chaîne qui conduit d’Aristote à Machiavel.
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