Renaissance
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L’Ecole des Muses se propose d’examiner l’histoire d’un genre, celui de l’art poétique français et de ses principales réalisations. Ces livres, qui s’échelonnent de Sébillet (1548) à Pierre de Deimier (1610), sont souvent négligés pour ne pas avoir la tenue théorique et conceptuelle des poétiques latines ou des poétiques vernaculaires italiennes, plus vite gagnées par l’aristotélisme littéraire. C’est là leur faire un faux procès, qui ne tient compte ni de leur histoire, ni de leur ambition. Ces ouvrages contribuent d’abord à la reconnaissance d’une littérature en langue vulgaire qu’ils servent à circonscrire, à décrire et à évaluer. A ce titre, ce sont d’abord des livres de métier où se construit un savoir sur la poésie française en même temps que la terminologie et les classifications qui permettent de le transmettre. Mais ce sont aussi des livres de poésie, écrits pour la plupart par des poètes, Du Bellay, Peletier, Ronsard ou encore Vauquelin de La Fresnaye, qui cherchent à parler poétiquement de la poésie, à lier de façon indissoluble doctrine et pratique. Leur modèle de prédilection est l’Ars poetica d’Horace, épître sur laquelle les auteurs brodent leur propres variations. Loin de constituer une sorte de panorama des idées sur la poésie telle qu’on peut la percevoir chez les théoriciens français de la Renaissance, l’essai présenté ici se donne pour objet d’examiner la poétique des arts poétiques.
Contrairement à ce que peut laisser entendre leur titre commun, les arts poétiques français sont moins normatifs qu’on ne l’imagine : ils s’interrogent sans cesse pour savoir si l’on peut enseigner la poésie, si les Muses peuvent aller à l’Ecole. Une des hypothèses de l’ouvrage de J. Charles Monferran est même que l’art poétique constitue pour une part un genre historiquement circonscrit, contemporain de l’âge de la fureur, reposant sur l’idée, vite abandonnée, de pouvoir tenir ensemble art et poésie, pédagogie et inspiration.
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Les Lettres tant latines que vernaculaires ont produit, à la Renaissance, un reflet privilégié du nouvel imaginaire de l’amour conjugal et de la vie domestique qui accompagne, stimule et reçoit maint développement capital dans le domaine de la culture et de l’esprit. Les multiples interrogations de la doctrine chrétienne, la réflexion sur la pédagogie, l’accroissement des représentations de la vie intime, l’imitation des rites funèbres de l’Antiquité païenne, tous ces aspects de la culture de l’époque figurent avec éclat dans la poésie de l’amour conjugal qui a marqué cette période. Qu’il s’agisse de fêter des noces, d’évoquer les événements ordinaires de la vie intime et familiale ou de pleurer une épouse disparue, les lettrés et poètes de la Renaissance reviennent fréquemment, selon diverses modalités, sur le grand thème de l’amour conjugal.
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En s’appuyant sur la culture humaniste et historique des robins du XVIe siècle, Marie Houllemare étudie « l’esprit » d’une institution, c’est-à-dire la manière dont des acteurs l’animent en faisant jouer principes et pratiques institutionnelles. Il s’agit de saisir, à travers les paroles et les écrits des gens de justice, l’art qu’ils déploient à des fins d’établissement de l’autorité et de la légitimité du parlement, dans le dialogue avec le monarque et les avocats. L’usage des catégories rhétoriques permet d’appréhender l’histoire politique, judiciaire et sociale à travers la mise en scène autoréférentielle des gens de justice quand ils cherchent à convaincre un public dans une prise de décision. Ils mettent en œuvre des modèles politiques variés : le parlement est tour à tour considéré comme un sénat, comme un théâtre, comme un temple de justice ou encore comme un forum. Dans ces multiples représentations, le parlement, dont l’activité vise au maintien de la concorde sociale, participe activement de la mise en scène rituelle de l’État moderne.
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S’il ne résistait pas aux nouvelles sensationnelles diffusées par les libelles qu’il collectionnait, Pierre de L’Estoile, Grand audiencier au parlement de Paris, ne marquait pas moins un goût comparable pour l’observation de l’actualité et les curiosités de la vie politique de Paris. La période abordée par ce premier volume du Registre-journal du règne de Henri IV couvre les années 1589-1591. L’auteur ouvre son récit sur les conséquences du régicide et les circonstances du siège militaire de la capitale jusqu’à la fin de l’année 1591 avec la reprise en main de la ville par le duc de Mayenne. Au gré des événements qui bouleversent les représentations traditionnelles de l’ordre social et judiciaire, mais avec une lucidité particulière, L’Estoile nous dévoile un univers dangereux et sectaire. La cité ligueuse, plongée dans le chaos, forme un monde clos, travaillé par la peur, les inimitiés, l’opportunisme et les ambitions déçues.
Ce diaire, établi conformément aux manuscrits originaux, se caractérise par son exceptionnelle richesse située à la croisée des savoirs les plus variés. Il justifie la démarche interdisciplinaire de l’édition, à laquelle participent des spécialistes en histoire, en littérature et en lexicographie.
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Le monde est une scène, la vie est un drame : la métaphore du théâtre du monde est l’une des plus triviales qui se trouvent. Elle s’insinue jusque dans le vocabulaire, par exemple dans le mot « personne », dérivé du latin persona signifiant « masque », puis « personnage » de théâtre. Le théâtre fournit donc à la théorie un certain lexique, ainsi qu’un véhicule métaphorique qui se révèle opératoire dans de nombreux domaines, par exemple en rhétorique, en éthique ou en métaphysique. Comment la formalisation de l’objet esthétique qu’est le théâtre a-t-elle pu influencer la théorisation de problèmes abstraits et complexes, tel celui de l'action humaine ? En leur offrant un modèle analogique et artificiel, comme on le verra en inventoriant les formulations et usages métaphoriques du drame de la vie de l’Antiquité au XVIIe siècle, notamment chez certains auteurs décisifs comme Cicéron, Plotin, Thomas More, Montaigne, Shakespeare ou Calderón. Si l’étude de cette métaphore contribue à l’écriture d’une histoire dramatique de notions comme la « personne », elle permet réciproquement d’établir l’histoire philosophique des mots du théâtre, comme l’acteur, le personnage, le poète, la scène ou le spectateur. Les références métaphoriques au théâtre dessinent ainsi en creux une théorie du théâtre qui vient compléter de façon souvent originale les sources « directes », Poétiques et Arts de l’acteur. Loin d’être une figure de style figée, la métaphore ouvre des perspectives nouvelles dans chacun des deux champs qu'elle rapproche : elle établit un dialogue entre réflexion théorique et expérience dramatique, entre Socrate et Shakespeare.
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Le Dictionnaire des gens de couleur porte sur une population qui, à ce jour, n’a été abordée que par la question de la traite négrière. Or, c’est quelque 15 000 hommes et femmes qui, entre les Grandes Découvertes et la Révolution, ont été amenés dans le royaume pour servir les élites aristocratiques et marchandes.
Présentées par régions, les 3087 notices du présent volume, qui porte sur Paris et son bassin, sont le fruit de recherches méticuleusement menées dans les fonds d'archives nationales - anciennes colonies, Amirauté de France – ainsi que dans les fonds des grandes villes portuaires comme Le Havre, Nantes et Bordeaux - registres d’armement et de désarmement des navires, registres paroissiaux.
Au-delà de l'inventaire, le Dictionnaire des gens de couleur retrace l'histoire d'une partie de la société à travers les itinéraires, les passages des capitaines négriers aux propriétaires citadins, l’insertion par le biais du mariage ou encore des destinés exceptionnelles– celles d’un chevalier de Saint-Georges ou d’un général Dumas, qui ont à la faveur de talents reconnus pu atteindre la notoriété.
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Philippe Glardon relève un événement particulier et largement mésestimé de l’histoire du regard qu’a posé l’homme sur la nature : la parution, en l’espace de trois décennies, entre 1530 et 1560, de dizaines d’ouvrages d’histoire naturelle inédits, alliant de riches descriptions d’espèces végétales et animales à des centaines de gravures originales.
Sur la base de ce constat, il analyse le contexte d’élaboration de ces ouvrages, rédigés le plus souvent en latin, et de leurs traductions. Leur dette envers les textes antiques est départie de l’héritage de la culture médiévale. La problématique du lexique et de la syntaxe des langues antiques comme vernaculaires est étudiée, ainsi que considérés les destinataires respectifs des diverses versions.
L’examen méthodique de La nature et diversité des poissons de Pierre Belon, retranscrite en annexe, et de sa version latine, sert de fil conducteur à l’analyse et amène l’auteur à tirer un bilan novateur sur les v©ritables objectifs de l’histoire naturelle au XVIe siècle, laquelle reflète de manière complexe les interrogations humanistes sur la place de l’homme au sein de la création, en un moment d’effervescence dans l’histoire religieuse et intellecuelle de l’Europe.